Explosion de BeyrouthLe parquet poursuit le juge chargé de l’enquête, qui refuse de se dessaisir
La libération de toutes les personnes détenues sans jugement depuis la déflagration meurtrière de 2020 a également été ordonnée mercredi par le procureur général.
Le procureur général libanais a annoncé mercredi à l’AFP avoir décidé de poursuivre le magistrat chargé de l’enquête sur l’explosion meurtrière au port de Beyrouth en 2020, sur fond de bras de fer juridique entre les deux hommes.
«Rébellion contre la justice»
Le juge Tarek Bitar, qui avait décidé lundi de reprendre son enquête suspendue pendant 13 mois en raison de pressions politiques, est poursuivi pour «rébellion contre la justice», et «usurpation de pouvoir», a précisé le procureur Ghassan Oueidate. Il est en outre frappé d’une interdiction de quitter le territoire libanais, a ajouté le procureur général près la Cour de cassation.
Tarek Bitar est appelé à comparaître jeudi matin, selon un responsable judiciaire ayant requis l’anonymat. Mercredi, le juge a assuré à l’AFP qu’il refusait de se dessaisir de l’investigation. «Je suis toujours chargé de l’enquête et je ne me dessaisirai pas de ce dossier. Le procureur n’a pas la prérogative de me poursuivre», a affirmé Tarek Bitar.
Libération de toutes les personnes arrêtées
Le procureur a également ordonné mercredi la libération des 17 personnes détenues sans jugement depuis la gigantesque explosion le 4 août 2020, qui avait fait plus de 215 morts et dévasté des pans entiers de la capitale. Parmi ces 17 personnes figurent un ressortissant américain ainsi que les directeurs des douanes et du port. Ces trois personnes ne figuraient pas parmi les cinq détenus dont Tarek Bitar avait ordonné la libération lundi, lorsqu’il avait décidé de reprendre l’enquête de son propre chef. Il avait alors décidé d’inculper plusieurs personnalités de haut rang, notamment le procureur général et deux hauts responsables de la sécurité.
L’explosion avait été provoquée par le stockage sans précaution de centaines de tonnes de nitrate d’ammonium dans un entrepôt au port. Elle a été imputée par une grande partie de la population à la corruption et la négligence de la classe dirigeante, accusée également par les familles de victimes et des ONG de torpiller l’enquête pour éviter des inculpations.
Manifestation devant la Banque centrale, chute record de la livre
Des dizaines de manifestants ont bloqué des routes et brûlé des pneus mercredi près de la Banque centrale du Liban à Beyrouth, alors que la livre libanaise a atteint un nouveau plancher face au dollar, selon des correspondants de l’AFP. Depuis 2019, le Liban est plongé dans une crise socio-économique sans précédent, largement imputée à la corruption et l’incurie de la classe dirigeante.
«On se dirige vers une grande explosion sociale», déclare à l’AFP Alaa Khorchib, 54 ans, président de l’association «Cri des déposants» qui a appelé à manifester. La crise s’est traduite par des restrictions bancaires draconiennes empêchant les épargnants d’avoir librement accès à leur argent, tandis que la monnaie locale a perdu plus de 95% de sa valeur par rapport au dollar sur le marché noir. Les manifestants scandaient des slogans hostiles au gouverneur de la Banque centrale du Liban (BDL), Riad Salamé, en fonction depuis 1993 et accusé par de nombreux Libanais d’être l’un des principaux responsables de la crise.