Abus sur mineurs: Inceste et maltraitance dès 2013: père et mère jugés à Yverdon 

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Abus sur mineursInceste et maltraitance dès 2013: père et mère jugés à Yverdon

Un Vaudois de 54 ans fera face à la justice dès le 30 octobre, accusé d’avoir violé sa fille durant des années et maltraité son fils handicapé. Sa femme comparaîtra, libre, pour complicité. 

Evelyne Emeri
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Evelyne Emeri
Tribunal d’Yverdon – C’est une Cour criminelle qui jugera dès lundi prochain 30 octobre ce père et cette mère, accablés par leurs enfants mineurs.

Tribunal d’Yverdon – C’est une Cour criminelle qui jugera dès lundi prochain 30 octobre ce père et cette mère, accablés par leurs enfants mineurs.

lematin.ch/Evelyne Emeri

Mars 2018, stupeur et tremblements. La Suisse découvre la plus grande affaire d’inceste et de maltraitance jamais révélée et jugée. Nous sommes dans le canton de Vaud. Huit enfants en enfer durant onze ans. Une famille suivie pendant tout ce laps de temps par le Service de protection de la jeunesse (SPJ), rebaptisé depuis Direction générale de l’enfance et de la jeunesse (DGEJ) et, partant, suivie par la Justice de paix. Il faudra la force de caractère de l’aînée, la première petite victime, pour que cela s’arrête, enfin. Pour que les dysfonctionnements du réseau de protection de l’enfance soient passés au crible par l’ancien président du Tribunal fédéral, Claude Rouiller, sur mandat du Conseil d’État. Le rapport Rouiller jugera coupable le SPJ et la Justice de paix. 

Le spectre de l’indicible

Comparaison n’est pas raison. Il n’empêche. À la lecture de l’acte d’accusation que soutiendra le procureur Alexandre Schweizer, le spectre de l’indicible inceste de l’affaire de 2018 refait inévitablement surface, même si les circonstances ne sont bien sûr pas analogues, même si le nombre d’enfants abîmés (deux sur trois) est moindre. L’inceste répété est là, subi pendant de longues années, les mauvais traitements physiques et le dénigrement psychologique aussi, la complicité de la mère également. Les abus sont divulgués tardivement par Emilie*, la deuxième de la fratrie. La Direction générale de l’enfance et de la jeunesse (DGEJ) qui intervient à la suite d’un signalement médical pour suspicions de maltraitance concernant le cadet Georges* et non pour sa sœur, des exactions perpétrées dans un village du Gros-de-Vaud, la loi du silence, les menaces. Voici pour les quelques relents d’équivalence.

Trois enfants, deux cibles

Dès lundi prochain 30 octobre, le Tribunal d’arrondissement de La Broye et du Nord vaudois siégera en audience criminelle, à Yverdon. Cinq juges pour mesurer et analyser la culpabilité de ce couple de Vaudois, nés dans le canton, y résidant, parents de trois enfants, dont deux sont désormais adultes: l’aîné qui n’aurait jamais été la cible de ses géniteurs; une fille de 22 ans, la proie principale; et le benjamin, également malmené, atteint du syndrome de Prader Willi. Une maladie génétique qui entraîne de graves troubles neurologiques et cognitifs, des addictions alimentaires, des retards du langage et une immaturité affective. La liste des infractions retenues par le parquet à l’encontre des deux prévenus est sans fin, les qualifications extrêmement lourdes (ci-après). 

Sévices dès ses 11 ans

Les faits arrêtés par le Ministère public sont abominables tant dans le détail que dans la durée. Ainsi les premiers sévices sexuels sur Emilie auraient débuté en juillet 2013 lors de vacances en Espagne alors qu’elle va fêter ses 12 ans et se seraient poursuivis dans le logement familial jusqu’à une date indéterminée avant le 5 mars 2019, quand la mineure de 17 ans se retrouve hospitalisée. Des attouchements, des caresses, des exigences de masturbation et de fellation, presque chaque soir, précise le procureur dans son ordonnance de renvoi devant le Tribunal. Mais aussi des rapports complets, quasi quotidiens, lui incombant de fortes douleurs et majoritairement entretenus sans préservatif. 

Du cannabis contre du sexe

L’enfant, se muant en adolescente au fil des années, affirme avoir tenté de s’opposer aux contraintes que lui imposait son père. En vain. Celui-ci l’aurait forcée à se taire, soutenant que ses actes étaient «normaux», et qu’il mettrait fin à ses jours si elle parlait. Ses préférences, ses perversions telles que présentées dans l’acte d’accusation, de même que ses propos pour encourager sa fille à s’exécuter ne seront ni écrits, ni décrits ici. Trop répugnants. Pour assouvir ses pulsions, le pédophile présumé aurait très vite monnayé ses demandes sexuelles. Conscient de l’addiction de sa proie au cannabis, il l’aurait ainsi payée: 50 francs la relation sexuelle complète; 20 francs la masturbation. Il l’aurait même fournie.

Le quinquagénaire sera stoppé dans son prétendu parcours incestueux grâce à l’hospitalisation d’Emilie. Ou à cause. Elle a 17 ans. Le corps médical décèle chez la jeune fille un état psychologique altéré, une thymie abaissée (ndlr. humeur oscillante) avec des idées suicidaires, des troubles de la concentration et de la mémoire. Elle est également dénutrie. Elle pèse 39,4 kilos. 

Elle parle à sa mère, en vain

À la mère de famille de 51 ans, il est reproché d’avoir fermé les yeux sur les agissements de son époux. Pire: de ne pas avoir cru Emilie dès le premier abus en Espagne. La petite de 11 ans lui aurait pourtant raconté ce que son père venait de lui faire, en larmes. La maman se serait simplement contentée de demander des explications à son mari et de se satisfaire de ses dénégations. Plusieurs fois, l’enfant – qui se scarifiait les bras et les jambes – aurait essayé de lui parler, y compris de viol. «Un délire» de jeune fille, lui aurait-elle répliqué.

Dans la gradation du pire, le parquet prétend aussi que la prévenue aurait même surpris son époux au salon avec leur enfant. La présence d’huile de massage que le couple utilise pour ses rares relations et de condoms ne l’aurait pas interpellée. Pas davantage la demande insistante d’Emilie que son papa ne lui rende pas visite lors de son hospitalisation.   

Exterminer la famille

Toujours à la maison entre 2013 – les faits antérieurs sont prescrits – et sa majorité à l’été 2019, Emilie aurait été frappée régulièrement. Durant son enfance et sa préadolescence, ses parents l’aurait giflée, fessée, lui aurait crié dessus. Elle aurait ainsi vécu dans un climat perpétuel de violences physiques et verbales. Lors de l’une ou l’autre altercation avec sa mère, cette dernière aurait planté un couteau dans la table à manger, une autre fois une fourchette près de la main de sa fille et encore des ciseaux dans la porte de sa chambre. D’après Emilie, sa maman voulait exterminer toute la famille. Les coaccusés l’auraient également dénigrée et injuriée, nuisant à sa construction, la traitant de «pute», de «conne», de «bonne à rien» ou de «tox».

La Faculté a diagnostiqué une série de troubles chez Emilie: trouble de la personnalité de type borderline avec des traits antisociaux; troubles dépressifs, du comportement alimentaire, mentaux liés à des drogues multiples et à des substances psychoactives; syndrome de stress post-traumatique; et dépendance aux jeux vidéo. Les spécialistes ont, en outre, constaté une grave déstructuration du quotidien et une déscolarisation.

Handicapé et traîné au sol

Georges, son frère cadet en situation de handicap, aurait, quant à lui, subi les mêmes rabaissements que sa sœur entre 2013 (5-6 ans) – les faits antérieurs sont prescrits – et la date de son placement en foyer le 25 janvier 2022 (14 ans), jour de l’arrestation de ses parents. Des insultes comme «bobet», «imbécile», «charogne de gamin» et des fessées. Estimant qu’il ne marchait pas assez vite en raison de son handicap, ses parents seraient allés jusqu’à le pousser par terre et le traîner au sol par le bras jusque dans sa chambre pour l’y enfermer.

Toujours en 2013, l’accusée, désireuse d’en finir, aurait glissé dans la bouche de son petit garçon un comprimé (un demi?) de ses somnifères (ndlr. benzodiazépine) afin de le tuer. Elle le lui aurait retiré avant qu’il ne l’avale, ignorant ça ne pouvait pas lui être fatal. Georges aurait encore subi, des années durant, l’ambiance délétère régnant à la maison.

Plaintes et détention

Emilie, 22 ans aujourd’hui, a fini par porter plainte le 24 janvier 2022, la veille de l’arrestation de ses parents. La Direction générale de l’enfance et de la jeunesse (DGEJ) a dénoncé les faits quelques jours plus tôt, le 12 janvier 2022. Ses intervenants avaient été alertés, une bonne année plus tôt, pour des suspicions de maltraitance sur le plus jeune. Ce n’est qu’après que les abus sur sa sœur se seraient fait jour. La DGEJ a cette fois-ci été auditionnée par le procureur en cours d’instruction contrairement à l’affaire de 2018. Georges est aussi plaignant par le biais de sa curatrice qui n’est autre que son avocate. Le couple prévenu a été interpellé le 25 janvier 2022. Lui n’a pas quitté sa cellule de détention provisoire. Sa femme, elle, a été emprisonnée un petit mois et libérée le 18 février 2022.  

Charges multiples

Le père devra répondre d’actes d’ordre sexuel avec des enfants (moins de 16 ans), d’actes d’ordre sexuel avec des personnes dépendantes, de contrainte sexuelle qualifiée, de viol qualifié, d’actes d’ordre sexuel commis sur une personne incapable de discernement ou de résistance, d’inceste, de violation du devoir d’assistance ou d’éducation et d’infraction à la loi fédérale sur les stupéfiants (ndlr. cannabis fourni par le père à sa fille)

La mère est renvoyée pour avoir été la complice de ces mêmes infractions, excepté les stups. Et pour délit impossible de meurtre. 

*Prénoms d’emprunt

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