FootballMais pourquoi Miroslav Stevanovic est-il un passeur hors pair?
L’ailier servettien a battu le record d’assists en Super League, avec une 19e passe décisive contre Zurich dimanche. Le Bosnien passé au crible.
- par
- Valentin Schnorhk
Faut-il vraiment aller plus loin que les chiffres? En servant sur un plateau Kastriot Imeri pour la victoire 1-0 de Servette contre Zurich dimanche, Miroslav Stevanovic a signé sa 19e passe décisive de la saison. C’est un record pour la Super League. Et cela suffirait presque à raconter l’extraordinaire passeur qu’est le Bosnien.
Depuis son arrivée en Suisse en 2017, il a toujours brillé dans ce domaine: 9 assists en Challenge League en 2017-18, 14 la saison suivante, puis 11 et 8 lors de ses deux premiers exercices dans l’élite. Avant donc d’exploser les compteurs cette saison.
À ce rythme-là, plus rien n’est un hasard. Mais cela n’empêche pas de comprendre ce qui fait son unicité. Parce que dans le jeu de passes de Miroslav Stevanovic, il y a des régularités. Ne serait-ce que cette saison: sur ses 19 bonbons distribués à ses partenaires, 17 ont été effectués du pied droit, un seul du gauche et un de la tête. Aussi, il n’y en a qu’un qui soit arrivé d’un coup de pied arrêté (un coup franc déposé sur la tête de Vouilloz à Lucerne en décembre). Là où beaucoup accumulent des statistiques en profitant de bons joueurs de tête à faire briller sur corner. Stevanovic, lui, brille dans d’autres domaines. Et Servette en profite allègrement. Décryptage.
Absolue régularité
En statistique, la valeur absolue masque parfois une vérité. Il faut la confronter sur une base similaire, pour qu’elle devienne relative et plus parlante. Mais pour Miroslav Stevanovic, ce n’est pas tout à fait nécessaire. Le Bosnien a beau jouer énormément (parce que Servette en a fait son atout numéro un), il ne s’oublie jamais. Autrement dit, il accumule toujours des passes décisives, ou presque décisives. Ce qui lui permet de trôner en tête de plusieurs classements qui expriment les qualités dans la dernière passe. Et lorsque ce n’est pas le cas, alors il est dans les meilleurs. De quoi illustrer sa régularité.
Par exemple, en termes relatifs, il n’est que deuxième au classement des assists. Miralem Sulejmani, le joker de Young Boys, délivre en moyenne 0,73 assist par période de 90 minutes, contre «seulement» 0,64 pour Stevanovic, deuxième dans ce tableau. Mais avec un temps de jeu très minime, de moins de 500 minutes au total sur la saison. Pour le reste, «Mica» est intouchable.
Ne serait-ce que pour ce qui est des passes-clé, ces offrandes qui mènent directement à une opportunité claire de but pour un partenaire. Il en a délivré 44 sur l’ensemble de la saison (1,49 p90), là où son premier poursuivant (le Saint-Gallois Görtler) n’en a donné «que» la moitié. Injouable, et confirmé par Alain Geiger, qui n’a pas tout tort lorsqu’il s’amuse à imaginer «si nos attaquants étaient un brin plus efficaces devant le but, sur ses passes… Ses statistiques seraient encore plus affolantes.»
Ces données se complètent, pour cibler le profil de passeur qu’est Stevanovic. Il est directement lié à son poste: le Grenat est un ailier droit, sur son bon pied. Il reçoit donc des ballons en position de centre. Il est ainsi le joueur à avoir effectué le plus de centres en Super League, mais aussi celui qui a touché le plus de fois la balle dans la surface adverse. C’est en combinant ces deux aspects que l’on parvient à identifier comment l’international bosnien parvient à enchaîner les passes décisives.
La quête de la zone dangereuse
Miroslav Stevanovic est un passeur au profil très clair. Mais pas un joueur d’axe, qui cherche à faire avancer le jeu par l’intérieur, entre les lignes. Son rôle d’ailier lui confère une fonction évidente dans le jeu servettien: animer le côté droit, en profitant notamment de ses capacités physiques au-dessus de la moyenne. À de rares exceptions près, ses passes décisives viennent de ce flanc-là. Mais cette zone peut être affinée: s’il donne de la largeur au jeu en phase de construction, il oriente ses déplacements vers l’intérieur lorsqu’il arrive dans le dernier tiers. Autant sur ses appels que sur ses conduites de balles.
Le joueur de 31 ans attaque la surface de réparation. Rationnel: les statistiques ont démontré que les chances de buts étaient beaucoup plus élevées lorsque les centres étaient effectués de l’intérieur de la surface. Stevanovic applique la théorie avec minutie. Nombre de ses assists viennent de là. Une option renforcée par un timing travaillé: soit avec une passe en une touche, soit avec sa conduite de balle qui lui permet de fixer défenseurs et gardiens, visant à les empêcher d’anticiper leur intervention et permettant ainsi de valoriser les déplacements de ses partenaires. Reste ensuite à faire le bon choix.
Interprète de la passe
Et c’est sans doute là que Miroslav Stevanovic fait beaucoup de différences. Parce que sa lecture des situations n’a que peu d’égal en Suisse. Elle dépend notamment beaucoup de sa prise d’informations. C’est elle qui dicte le choix à effectuer. Mais elle n’est pas toujours possible, par exemple lorsque l’enchaînement doit être extrêmement rapide. Même s’il y a toujours des signaux qu’il est possible d’interpréter.
Comme dans le cas du but servettien contre Zurich dimanche, où Stevanovic a sans doute distingué le positionnement du gardien Brecher au premier poteau et la présence de défenseurs autour de lui dans les cinq mètres. Dans ces cas-là, une arme «fatale»: la passe en retrait, dont a joui Imeri, et qui permet de prendre à revers une défense à l’arrêt ou mal orientée pour intervenir.
Il s’agit sans doute de l’option «facile», presque automatique. L’autre cas, c’est lorsque la situation a été lue et analysée par le magicien servettien. Dans ces moments-là, il se trouve face à une double possibilité: servir directement un joueur ou trouver une zone. Dans la première éventualité, il y a surtout chez Stevanovic une exécution technique admirable. Qui peut aussi s’exprimer par les chiffres: même les situations de frappes a priori peu avantageuses sont rendues plus abordables par la passe du Bosnien. En effet, il n’accumule «que» 7,98 Expected Assists sur la saison. Là où il en a donné effectivement plus de deux fois plus. Une anomalie statistique qui s’explique notamment parce que les ballons donnés frisent la perfection.
Mais la solution évidente n’existe pas toujours. Alors, Stevanovic excelle aussi lorsqu’il s’agit de cibler la zone la plus dangereuse. À savoir celle où l’intervention est rendue très difficile, ou très risquée. En règle générale, il s’agit de celle dans le dos de la défense, mais suffisamment loin du gardien. Le Servettien la trouve régulièrement. Tâche ensuite aux attaquants de surgir. Et ils le font plutôt bien. Question d’automatisme, forcément.
Et un soupçon de réussite
Reste l’inexplicable, le coup de chance. Quand on donne 19 passes décisives, tout ne peut pas être réduit à ça. Mais Stevanovic en profite également. Comme lorsque ses coéquipiers inventent des buts «impossibles». Ou lorsqu’il peut compter sur la complicité du mode de calcul.
Un exemple? Contre Lausanne en novembre, son centre dans la zone dangereuse a été repoussé par le portier vaudois Mory Diaw directement dans les pieds d’Imeri, lequel a transformé l’occasion. Si elle n’est pas directe, la passe a été comptée comme décisive.
Mais sans surprise, ces situations ont été provoquées. Parce que tactiquement et techniquement, Miroslav Stevanovic a tout fait pour. Et cela suffit à le caractériser comme meilleur passeur du pays.