Katalin Kariko, de chercheuse marginalisée au Prix Nobel

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MédecineKatalin Kariko, de chercheuse marginalisée au Prix Nobel

Peu de monde croyait en ses recherches sur l’ARN messager, mais la scientifique a persévéré, ce qui a permis la création des vaccins contre le Covid.

Katalin Kariko a eu une pensée pour sa mère à l’annonce de son Prix Nobel.

Katalin Kariko a eu une pensée pour sa mère à l’annonce de son Prix Nobel.

Getty Images via AFP

Chercheuse inconnue et marginalisée à ses débuts, la Hongroise Katalin Kariko est devenue une spécialiste incontournable de l’ARN messager, récompensée lundi du Prix Nobel de médecine avec son collègue américain Drew Weissman.

Née en Hongrie il y a 68 ans, c’est aux États-Unis que la scientifique (13e femme récompensée du Nobel de médecine) a mené ses travaux pointus et novateurs. Lesquels, avant de lui valoir une pluie de récompenses scientifiques, l’ont d’abord contrainte à œuvrer dans l’ombre.

Il faut dire que peu imaginaient que le travail souterrain de cette biochimiste poserait les jalons des vaccins des firmes Pfizer et Moderna contre le Covid-19.

La chercheuse avait confié en décembre 2020 à l’AFP avoir du mal à se faire aux projecteurs, après tant d’années laborieuses. Son cas illustre selon elle «la nécessité de soutenir la science à de nombreux niveaux», avait-elle dit lors d’un entretien vidéo depuis son domicile de Philadelphie.

Mme Kariko a employé une bonne partie de son temps dans les années 1990 à postuler pour des financements de ses recherches centrées sur l’acide ribonucléique (ARN) messager, des molécules qui donnent aux cellules un «mode d’emploi» afin qu’elles produisent des protéines bienfaisantes pour notre corps.

Demandes de bourses rejetées

La biochimiste pensait que l’ARN messager pourrait jouer un rôle clé dans le traitement de certaines maladies, par exemple en soignant les tissus du cerveau après un AVC. Mais l’Université de Pennsylvanie, où Mme Kariko était en voie d’accéder au professorat, a mis un coup d’arrêt à cette trajectoire, face aux rejets successifs de ses demandes de bourses de recherche.

«J’étais destinée à être promue et c’est alors qu’ils m’ont rétrogradée, s’attendant à ce que je parte», se souvenait-elle en décembre. À l’époque, Katalin Kariko ne disposait pas de la fameuse carte verte de résidente et elle avait besoin d’un travail pour renouveler son visa. Elle n’ignorait pas non plus qu’il lui serait difficile de financer les études supérieures de sa fille, avec son salaire raboté. Elle a pourtant décidé de persister.

Fille championne d’aviron

Une telle détermination, la chercheuse en thérapie génique l’a transmise… dans ses gènes: sa fille, Susan Francia, est non seulement sortie diplômée de l’illustre université de Pennsylvanie, mais elle a également remporté la médaille d’or au sein de l’équipe d’aviron des États-Unis aux Jeux olympiques de 2008 et 2012.

À la fin des années 1980, la communauté scientifique n’avait d’yeux que pour l’ADN. Mme Kariko, elle, s’intéressait à l’ARN messager, l’imaginant fournir aux cellules les moyens de fabriquer elles-mêmes les protéines thérapeutiques. Une solution permettant d’éviter de modifier le génome des cellules, au risque d’introduire des modifications génétiques incontrôlables.

Mais l’ARN messager n’était pas non plus dénué de problèmes: il suscitait de vives réactions inflammatoires, étant considéré comme un intrus par le système immunitaire.

Avec son partenaire de recherche, le médecin immunologiste Drew Weissman, également récompensé lundi, Katalin Kariko parvient progressivement à introduire d’infimes modifications dans la structure de l’ARN, le rendant plus acceptable par le système immunitaire.

Leur découverte, publiée en 2005, marque les esprits, extirpant (un peu) Mme Kariko de l’anonymat. Puis, ils franchissent un nouveau palier, en réussissant à placer leur précieux ARN dans des «nanoparticules lipidiques», un enrobage qui leur évite de se dégrader trop vite et facilite leur entrée dans les cellules. Leurs résultats sont rendus publics en 2015. Cinq ans plus tard, ces percées ont été cruciales à l’heure de combattre la pandémie de Covid-19.

Vice-présidente de BioNTech

Mme Kariko a occupé jusqu’en 2022 la vice-présidence au sein du laboratoire allemand BioNTech, associé à la firme Pfizer, qui a produit le premier vaccin distribué dans le monde occidental, l’autre étant fabriqué par Moderna.

Malgré ses nombreux prix, dont le prix Lasker et le Breakthrough prize, elle n’a jamais oublié les moments où elle s’est sentie sous-estimée. Quand, dans un univers masculin on lui demandait à la fin de certaines conférences d’experts: «Où est votre superviseur?».

Une pensée pour sa mère

Au moment de l’annonce du Prix Nobel, Katalin Kariko a dit penser à sa mère. «Il y a déjà dix ans, elle écoutait les annonces du comité Nobel, alors que je n’étais même pas encore professeure. Elle me disait «Peut-être que ton nom sera prononcé, j’écouterai quand ils feront cette annonce». Année après année, elle a écouté. Il y a cinq ans malheureusement, elle est décédée à l’âge de 89 ans. Peut-être a-t-elle écouté depuis le ciel».

(AFP)

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