SuisseYves Mirabaud suspecté dans l’enquête liée à Juan Carlos
Le président de la banque privée éponyme est soupçonné de ne pas avoir annoncé les fonds suspects dans son établissement. Le procureur genevois Yves Bertossa le met sous enquête.
- par
- Marion Emonot
Le premier procureur genevois soupçonne le président de la banque privée Mirabaud, Yves Mirabaud, d’avoir manqué à son devoir de diligence en omettant d’annoncer au bureau antiblanchiment suisse, le MROS, la présence a posteriori de fonds suspects dans son établissement: 65 millions transférés par le ministère des Finances saoudien, à la société écran panaméenne Lucum, dont le premier bénéficiaire était l’ex-roi d’Espagne Juan Carlos et le second, son fils Felipe VI, actuel monarque. C’est le quotidien espagnol El País, étayé par la cellule enquête de Tamedia, qui révèle cette étape de l’affaire notamment dans La Tribune de Genève.
Jusqu’à présent, Yves Mirabaud, qui préside encore la Fondation Genève Place Financière, un lobby du secteur, avait été entendu par Yves Bertossa en qualité de témoin (lire encadré). A ses côtés, un ancien cadre de Mirabaud, ami du gestionnaire des affaires du roi auquel la banque devait d’avoir été choisie pour accueillir les fonds de cette personnalité politiquement exposée (PEP).
La compliance informée «oralement»
De ces auditions, il ressort que le président de la banque éponyme n’a pas avisé son département de compliance (ndlr: conformité) ni son département juridique de l’identité du détenteur final du compte. C’est là que le bât blesse, présume Yves Bertossa. Néanmoins, Yves Mirabaud assure avoir informé le département ad hoc «oralement».
Yves Mirabaud a participé aux discussions qui ont abouti à la décision de fermer le compte de Lucum en 2012. Interrogée sur ce dossier, la banque confirme le fait qu’Yves Mirabaud a bien été entendu par le ministère public genevois en tant que prévenu au sujet d’un défaut d’annonce présumé au MROS en 2018. « Yves Mirabaud conteste vigoureusement tout grief qui pourrait lui être adressé. La banque est confiante dans l’issue favorable de cette procédure, car elle estime avoir agi conformément à la législation applicable. »
A noter qu’il est inhabituel de mettre en cause un responsable de banque, et non les acteurs de son département de compliance, car selon la Loi sur le Blanchiment, c’est l’auteur possible de l’infraction qui doit être mis en cause. Le procureur oriente ainsi son enquête sur les processus décisionnels au sein de l’établissement bancaire. Yves Mirabaud est présumé innocent. Une nouvelle audition devrait se tenir cet automne.
L’audition initiale d’Yves Mirabaud
El País a eu accès à l’interrogatoire du président de la banque éponyme par le premier procureur genevois Yves Bertossa, dont nous reproduisons la transcription ici.
Le Conseil d’administration a-t-il mis en doute la possible légalité d’une telle donation en faveur d’un représentant de l’Etat?
- Je ne me souviens pas qu’on ait demandé à nos conseillers juridiques si son statut de roi d’Espagne lui permettait de recevoir ces fonds.
Y avait-il des clients que le département de compliance et le département juridique ne connaissaient pas?
- Des clients, non. Mais un bénéficiaire, oui: l’ancien roi d’Espagne. Il s’agit du seul bénéficiaire qui était uniquement connu des membres du conseil d’administration. Historiquement, peut-être y avait-il eu un autre cas de bénéficiaire uniquement connu par les membres du conseil d’administration. Mais on parle là d’un cas ancien. La personne est décédée il y a plusieurs décennies […] C’est le conseil d’administration qui a donné son feu vert à l’ouverture du compte.