CommentaireL’UDC, un parti d’extrême droite comme les autres
La formation emmenée par Marco Chiesa coche aujourd’hui toutes les cases d’un mouvement d’extrême-droite.
- par
- Eric Felley
Dans un article publié la semaine dernière sur le blog de Mediapart, l’historien genevois Charles Heimberg s’interroge sur le positionnement actuel de l’UDC. «Compte tenu de son histoire auparavant plus modérée, note-t-il, et du fait qu’une partie de ses membres se réfèrent toujours au parti agrarien qu’elle a été, la plupart des médias et observateurs euphémisent et n’évoquent généralement qu’une formation de droite, conservatrice, nationaliste, voire populiste».
Mais pour Charles Heimberg, en 2023, l’UDC est devenue un parti d’extrême-droite dans la même constellation que les partis affiliés européens comme la Lega en Italie, Vox en Espagne, l’AfD en Allemagne ou les Vrais Finlandais en Finlande.
Dénominateurs communs
L’historien genevois se réfère à une étude de Steven Forti sur le phénomène de l’extrême-droite 2.0 au XXIe siècle. Selon lui, tous ces mouvements ont des dénominateurs communs: «nationalisme, identitarisme ou nativisme marqués, récupération de la souveraineté nationale, critique profonde du multilatéralisme, défense des valeurs conservatrices, de la loi et de l’ordre, islamophobie, condamnation de l’immigration comme «invasion», critique du multiculturalisme et des sociétés ouvertes et, enfin, anti-intellectualisme».
Il y ajoute aussi leur capacité à utiliser les réseaux sociaux pour «viraliser leurs messages», pour polariser la société avec les guerres culturelles, et enfin le désir «de se présenter comme des transgresseurs et des rebelles contre un système supposé hégémonique de la gauche, qui aurait établi une dictature progressiste ou politiquement correcte».
Cette étude ne parle pas de l’UDC Suisse. Mais pour Charles Heimberg, il est frappant de constater à quel point l’UDC «coche pratiquement toutes les cases de ce qui est décrit».
Une concordance de plus en plus artificielle
Si, par le passé, l’UDC a eu un fond agrarien, celui n’existe pour ainsi dire plus, sauf peut-être avec ses deux représentants au Conseil fédéral, le Vaudois Guy Parmelin et le Bernois Albert Rösti. Ces deux-là se sont avérés être les rares éligibles pour le Parlement, afin d’assurer une concordance de plus en plus artificielle. Mais les autres, les Chiesa, Aeschi, Glarner, Köppel, Addor ou Herr, tous jouent la partition «des transgresseurs rebelles» et de la discordance. Le 1er août, Marco Chiesa, en faisant sauter ses fusées contre la gauche rose-verte, a même attiré l’attention de la cheffe de l’Office fédéral de la police. En juillet dernier, la section jeune de l’UDC s’en est prise ouvertement à la communauté LGBTQ+ en la traitant de «décadence et de ruine». Jamais le parti n’avait été aussi loin contre elle.
Nouvelles réponses
Depuis les années 70, rien ne pousse à droite de l’UDC, sauf quelques mouvements anecdotiques comme les Démocrates suisses, le Parti national suisse ou Résistance helvétique. Depuis les années 90, avec Christoph Blocher, l’UDC a mis l’accent sur l’immigration, l’islam et l’Union européenne. Mais ces dernières années d’autres thèmes sont apparus: la pandémie, le climat, la théorie du genre, le «wokisme» ou la guerre en Ukraine. L’UDC a assimilé cette actualité en lui donnant les mêmes réponses que les mouvements d’extrême-droite. Ce qui est nouveau aussi, c’est la violence du discours contre «l’ennemi intérieur», que constituerait le camp rose-vert qui détient les villes.
Alliances tous azimuts
Rien ne doit pousser à droite de l’UDC, c’est pourquoi cette année elle s’allie avec les mouvements complotistes et coronasceptiques en Suisse alémanique. Mais dans ce contexte, son alliance avec le PLR dans de nombreux cantons (dont Vaud et Genève) est plus problématique, car le PLR n’est pas d’accord avec l’UDC sur l’immigration, ni sur le dossier européen, ni sur la politique extérieure, ni sur le respect des LGBTQ+.
Vendredi dernier, lors de la conférence du PLR sur l’immigration, la question a été posée aux leaders du PLR sur les contradictions de leur alliance avec cette UDC-là. «Un apparentement n’est pas une alliance thématique, a répondu dans «Le Temps» le chef du groupe PLR aux Chambres fédérales Damien Cottier (PLR/NE). On peut travailler avec un parti, même si nos opinions diffèrent sur certains sujets». Le président Thierry Burkart (PLR/AG) a ajouté: «Pour implémenter nos idées, nous avons besoin d’autres partis au Parlement. Mais nos idées restent basées sur nos valeurs».
Un axe de campagne
Probablement, mais pendant ce temps c’est l’UDC qui s’érige en leader de la droite suisse en la tirant le plus à droite possible et le PLR adapte ses valeurs ou ferme simplement les yeux. Finalement, qu’est-ce que ça change que l’UDC soit un parti d’extrême-droite qui s’ignore? En Suisse alémanique c’est devenu un axe de campagne de la gauche pour rappeler que lorsque l’on vote pour un candidat du PLR, on soutient aussi un candidat de l’UDC. Pour un certain nombre d’électeurs qui tiennent à leurs valeurs, c’est tout de même un sujet de réflexion qui n’est pas anodin.