FleuveVeine économique sud-américaine, le Parana connaît son plus bas niveau depuis la Seconde Guerre mondiale
Les eaux du Parana sont très basses, sans que les spécialistes ne puissent accuser précisément le réchauffement climatique. Les poissons et l’économie souffrent.
Deuxième plus grand fleuve d’Amérique du Sud, après l’Amazone, le Parana (qui signifie «parent de la mer» en guarani) connaît son pire étiage (ndlr: baisse périodique des eaux) depuis plus d’un demi-siècle, entraînant des répercussions sur la reproduction des poissons, les transports maritimes et la production d’électricité. Ses eaux autrefois puissantes s’écoulent sur 4800 kilomètres, mais le Parana dépérit depuis 2019. Il a atteint, cette année, des niveaux alarmants jamais observés depuis la Seconde Guerre mondiale.
Le lit principal du fleuve a encore du débit, mais «seuls 10 à 20% des canaux secondaires ont de l’eau, le reste est à sec», s’alarme le géologue Carlos Ramonell, professeur à l’Université nationale del Litoral, en Argentine. Les experts doutent même que le fleuve retrouve son exubérance passée, même lors de la saison des pluies, attendue en décembre.
Son lit désespérément bas a affecté la marine marchande, la production d’électricité, la pêche, l’industrie touristique, l’approvisionnement en eau pour la consommation et l’irrigation, et a modifié les reliefs, peut-être de manière permanente.
Barrages, déforestation, réchauffement, manque de pluie?
«Les barrages brésiliens, la déforestation, le changement climatique ont été pointés comme probables causes» de ces basses eaux, «mais d’un point de vue scientifique, nous ne sommes pas en mesure de l’affirmer. Il est évident qu’il s’agit d’un déficit pluviométrique, mais causé par quoi?» s’interroge Carlos Ramonell. «Nous ne pouvons pas exclure que les basses eaux ne soient qu’une variabilité naturelle», avance prudemment le géologue, qui cite des cycles similaires relevés il y a un siècle, lorsqu’il n’y avait pas de barrages, de déforestation ou de réchauffement climatique.
Le Parana prend sa source au Brésil, a des affluents au Paraguay et se jette dans l’Atlantique en Argentine, où ses sédiments alimentent les plaines agricoles qu’il baigne avant son embouchure dans le Rio de la Plata (estuaire au bord duquel se trouvent Buenos Aires et Montevideo). «Le Parana est la zone humide la plus grande, la plus riche en biodiversité et la plus socioproductive d’Argentine», souligne Carlos Ramonell.
Bateaux à sec
Aujourd’hui, son tronçon navigable, vital pour les exportations de la Bolivie et du Paraguay, pays enclavés, ne l’est «plus depuis avril, et les marchandises sont transportées par voie terrestre jusqu’au fleuve Paraguay, ce qui a quadruplé le coût», explique Juan Carlos Muñoz, directeur de l’association des propriétaires de bateaux fluviaux paraguayens.
Quatre mille barges, 350 remorqueurs et 100 porte-conteneurs attendent que le niveau d’eau remonte. En mai dernier, l’ouverture exceptionnelle de réservoirs au Brésil a libéré des centaines de barges paraguayennes, bloquées en aval. Mais le niveau est tellement bas qu’un renouvellement de l’opération est inutile.
Les poissons ne peuvent frayer
Le débit moyen du Parana, de 17’000 mètres cubes par seconde, est tombé à 6200 m3/s, juste au-dessus du minimum historique (5800 m3/s), enregistré en 1944. Conséquence directe, la production d’électricité de la centrale de Yacyreta, entre Argentine et Paraguay, qui fournit 14% de l’électricité du grand pays sud-américain, a été réduite de moitié. «L’année dernière, nous pensions être au plus bas, mais cette année, la situation s’est encore aggravée», note Marcelo Cardinalli, directeur des opérations de la centrale.
Ces basses eaux ont également affecté la reproduction des poissons, empêchés de frayer dans les lagunes et les bras du fleuve qui sont déconnectés du cours principal par d’énormes bancs de sable. «Le stress sur le système biotique», causé par les bras desséchés du fleuve, «est aggravé par l’augmentation de la teneur en sel de l’eau», explique le géologue Carlos Ramonell.
«Impact gigantesque»
L’étiage a provoqué l’apparition d’une traînée de détritus et, là où il y avait des lagunes, des mauvaises herbes ont poussé et profitent au bétail. «Avec les basses eaux, tous les produits chimiques – mercure, plomb – se concentrent» dans les mêmes endroits. «Quand l’eau reviendra, les poissons suceurs de boue mourront. Nous allons voir un impact gigantesque», prévoit Ana Pirkas, une habitante de la ville de Goya, dans la province argentine de Corrientes, célèbre pour son tourisme de pêche, aujourd’hui en suspens.
L’interdiction – en cours – de pêcher le week-end vise à protéger les 200 espèces présentes dans le fleuve. «Depuis que les barrages ont été construits, le fleuve a beaucoup changé», estime Ramon Acuña, un pêcheur aux tempes grisonnantes. De l’abondance de tarpons, au sommet de la pyramide alimentaire des poissons du Parana, que son père avait l’habitude de pêcher, il ne reste qu’un lointain souvenir.
Version originale publiée sur 20min.ch