Qatar 2022Urs Meier: «J’espère que l’Iran et les États-Unis referont la même photo»
En 1998, à Lyon, l’arbitre suisse avait sifflé le match de la paix lors de la Coupe du monde. À son initiative, les acteurs avaient posé ensemble pour la postérité. Qu’en sera-t-il tout à l’heure?
- par
- Nicolas Jacquier
Quand l’Iran et les États-Unis se défient sur un terrain de football, le contexte dépasse évidemment le cadre du sport. C’était déjà le cas en 1998, lors du Mondial en France, quand les deux ennemis intimes, qui n’entretiennent pas de relations diplomatiques, s’étaient affrontés sur la pelouse de Gerland (2-1 pour la Team Melli). La rencontre s’était disputée dans un contexte de dégel entre l’Occident et la République islamique, quelques mois après l’élection à la présidence du modéré Mohammad Khatami.
Près d’un quart de siècle plus tard, l’Iran et les États-Unis seront à nouveau opposés ce mardi soir au Qatar, dans un contexte autrement plus tendu cette fois-ci, avec en toile de fond, le mouvement de contestation populaire réprimé dans le sang par le régime islamique de Téhéran.
Ce 21 juin 1998, à Lyon, c’est Urs Meier qui officiait au sifflet. Un arbitre doublement neutre puisque suisse. Dès le tirage au sort, l’Argovien, qui vit aujourd’hui en Espagne, avait rêvé pouvoir arbitrer une telle affiche. «Dès le tirage au sort en décembre 1997, explique-t-il, j’avais exprimé le vœu de pouvoir siffler cet Iran – USA en me disant que c’était un match pour moi. J’ai toujours aimé ce genre de rendez-vous. À l’époque, je n’étais pourtant pas sûr d’être présent à cette Coupe du monde, j’étais en concurrence avec Serge Mumenthaler.» On sait ce qu’il est advenu.
Urs Meier n’a rien oublié des heures qui avaient précédé la rencontre. «La veille du match, lors du meeting de sécurité avec les deux équipes, René Hussy, qui était le délégué de la FIFA, avait rappelé aux deux formations que c’était «only a football game» (seulement un match de football). Dans la foulée, alors que les Iraniens et les Américains se regardaient, je leur avais proposé de poser ensemble le lendemain pour la photo, afin de montrer au monde entier le pouvoir du football. Je me souviens leur avoir dit: «Quoi de plus agréable qu’une photo de groupe?» C’était mon idée et la FIFA, après un temps de réflexion, l’a acceptée. J’espère que l’Iran et les États-Unis referont ce mardi soir la même photo symbolique.»
À l’époque, la photo des joueurs mélangés, posant bras dessus bras dessous avant le coup d’envoi, avait fait le tour du monde. «Il y avait deux fois plus de photographes que d’habitude. Vivre cet instant demeure le temps fort de ma carrière. Cela valait la peine d’être arbitre, ne serait-ce que pour avoir vécu ce moment-là. Le sport a le pouvoir de construire des ponts et de réunir les gens.» Alors que la FIFA avait décrété une «journée du fair-play», chaque joueur iranien avait offert un bouquet de fleurs blanches à l’un des joueurs adverses.
Penalty oublié
Quels souvenirs Urs Meier conserve-t-il du match lui-même? «C’était très spécial. On sentait que l’on était en train de vivre un moment d’histoire. Ce jour-là, Laurent Rausis (ndlr: l’un des deux juges de touche) m’avait beaucoup aidé. C’est lui qui m’avait incité à sortir le premier carton jaune, il avait 100% raison. Le match avait été très intense. Je peux le dire plus facilement avec le recul: j’avais même oublié un penalty pour l’Iran mais cela n’avait pas porté à conséquence.»
En guise de souvenir, l’arbitre avait conservé le ballon du match – «Mais je ne sais plus où il se trouve aujourd’hui.»
Tout à l’heure au stade Al-Thumama, chaque geste des joueurs iraniens sera scruté, chacune de leurs attitudes disséquée. Avec le risque qu’une qualification historique pour les 8es de finale obtenue contre le «grand ennemi» soit récupérée par le régime islamique.