Tous sportsY aller ou ne pas y aller? Telle est la question
En 2022, les Jeux olympiques d’hiver auront lieu en Chine et la Coupe du monde de football au Qatar. La presse doit-elle aller dans des pays classés respectivement 177e et 128e sur 180 contrées, au classement de Reporters sans frontières?
C’est l’éternel dilemme, lorsque des grands événements sont attribués à des pays comme une monarchie absolue constitutionnelle héréditaire ou un état communiste à parti unique. La presse doit-elle se faire «complice» de ces régimes? Faut-il boycotter l’événement pour ne pas entrer dans le jeu de «soft power» de ces puissances dictatoriales et autres régimes autocratiques? Et s’il n'y avait pas de bonne réponse, finalement?
La Chine a dernièrement pris un nouveau tournant nationaliste, encore un peu plus, et le pouvoir est devenu davantage conservateur. Les rares mouvements féministes et LGBT sont réprimés et une campagne dans les médias locaux a même été lancée pour remettre dans le «droit chemin» les jeunes hommes qui ont l’outrecuidance d’être efféminés, suivant l’exemple de nombreuses stars asiatiques de leur époque. Et puis il y a les Ouïghours, et puis… et puis…
L’Empire du Milieu est un carrefour des ambitions des différentes ligues sportives, qui espèrent toutes s’y imposer et y faire flamber leur compte en banque. La Premier League, la NBA, même la Ligue 1 lorgne les milliards de Yuans… La WTA, elle, a décidé de ne plus se taire, même si une dizaine de ses tournois s’y déroulent, dont le Masters. Mais l’affaire Peng Shuai risque de ne rien changer, malgré le barbarisme de la situation.
Notez qu’on ne peut toujours pas faire pire que le CIO dans le domaine, hein… Et plutôt deux fois qu’une puisque Pékin a déjà accueilli les Jeux olympiques, d’été cette fois en 2008, pour la bagatelle de plus de 40 milliards de francs tout compris. Pour l’hiver qui vient, le budget devait être d’environ trois milliards. La facture va finalement se monter à près de vingt. Comment dire non?
Non seulement le Comité international olympique a attendu de très longs jours pour réagir à la disparition de Peng Shuai. Mais en plus, quand il l’a fait, il a semblé tomber pile dans le jeu de la propagande chinoise. Juste histoire d’essayer de sauver les apparences à moins de cent jours du début des JO d’hiver dans une ville qui a fermé ses cours d’école au début du mois en raison d’une trop forte pollution atmosphérique. Enfin, s’il n’y avait que ça…
Et si on décidait de ne pas aller en Chine, pourquoi irait-on au Qatar alors? Car là-bas, les problèmes ne sont pas les mêmes, mais tout aussi nécessaires à mettre en avant. Il y a les quelque 6500 morts sur les chantiers et ce n’est pas gravissime et/ou honteux, c’est gravissime fois honteux. Mais il y a aussi les droits des femmes. Enfin, «droits», il faut l’écrire vite. Les autochtones aussi, dont les droits humains de base sont bafoués sans qu’on l’écrive assez.
Ensuite, on fixe où la ligne rouge, jaune ou de je ne sais plus quelle couleur? Devions-nous aller à Sotchi, où les expropriés pour mettre un tremplin ou un anneau de glace ont été nombreux? Fallait-il aller au Brésil, où les milliards des stades et des installations olympiques auraient pu servir à nourrir ou alphabétiser les gens? Et puis Emmanuel Macron et Alain Berset aussi ne sont-ils pas d’affreux dictateurs selon certains? Et l’«impérialisme américain» en 2028? On n’y va pas non plus?
Aller sur place, est-ce pour autant cautionner? Je pense sincèrement que non. Ça permet aussi de mettre en lumière la situation des peuples, sans passer par les filtres des propagandes. Enfin, pour autant qu’on ait le droit de se rencontrer malgré les sempiternelles bulles Covid. Mais j’ai tout de même des souvenirs qui resteront gravés à vie de contacts avec des Russes ou des Azéris, heureux de permettre au monde de les visiter et qui prouvent finalement qu’ils sont exactement comme nous, à fond. Leur amener les fans de la planète entière sur un plateau doré de football ou d’olympisme, permet aussi de découvrir l’«étranger» tellement diabolisé dans les médias locaux et de casser les clichés.
Alors pour moi, y aller est sans doute encore plus important aujourd’hui qu’hier. On n’aura sans doute pas accès à grand-chose en Chine. Peut-être même pas à… Twitter. Mais si on peut éclairer ne serait-ce qu’un peu la Suisse romande sur ces pays si différents mais avec des humains tellement comme nous, eh bien ce sera toujours ça de gagné. Si la présence en masse de sportifs et de toute la caravane qui les suivent peut entrouvrir une porte vers la liberté ne serait-ce que d’un demi-millimètre, eh bien j’aurai été utile. Oui, j’crois encore.