LivreCes chercheurs qui trouvent surtout la mort
Le professeur lausannois Pierre Zweiacker sort un livre étonnant, qui dresse l’histoire de la science à travers ceux qui en furent victimes avec beaucoup d’humour. Noir, évidemment.
- par
- Michel Pralong
Et si, pendant les vacances, vous lisiez un bon bouquin sur l’histoire des sciences? Attendez, ne partez pas en courant, celui que nous vous proposons est follement amusant puisqu’il traite des scientifiques qui sont morts pour leur métier. Alors oui, dit comme cela, c’est plutôt dramatique, mais l’auteur, Pierre Zweiacker, outre une connaissance approfondie des différents domaines scientifiques manie une plume que ne lui renieraient pas les plus grands humoristes, surtout ceux qui pratiquent l’humour noir et une forme de cynisme jubilatoire et communicatif.
Vous avez peut-être ainsi entendu parler d’Hypatie d’Alexandrie, première mathématicienne recensée dans l’Histoire et qui mourut assassinée en 415, victime de chrétiens fanatiques qui trouvaient que cette femme ramenait trop sa science. «Onze versions différentes de son assassinat ont été recensées. Car cela au moins est un fait avéré, Hypatie mourut assassinée. En voici d’ailleurs une preuve irréfutable: si Hypatie n’avait pas été assassinée, elle n’aurait pas trouvé place dans le présent ouvrage», écrit malicieusement Pierre Zweiacker.
Bon, Archimède, vous connaissez. Celui qui permit à Syracuse de résister longtemps aux Romains grâce à ses inventions devait être capturé vivant par ces derniers lorsqu’ils prirent la ville. Mais le soldat romain qui le trouva ne le reconnut pas et fut vexé par ce vieillard qui griffonnait au sol, demandant de ne pas le déranger et le transperça d’une épée. Voilà un légionnaire qui n’a pas crié «Eurêka».
Dévorés par leur sujet
De ce livre, on apprend également que les maths ont une certaine tendance à rendre fou et à pousser au suicide (ce n’est pas la seule discipline d’ailleurs), que de se faire piquer son invention par d’autres peut aussi pousser soit au suicide, soit au meurtre. Ou alors que certains scientifiques finissent dévoré par l’objet de leur recherche, que ce soit Marie Curie qui fut trop en contact avec la radioactivité, les époux volcanologues Krafft qui ont fini par trop s’approcher d’un volcan ou l’océanographe Kirsty Margot Brown qui finit dans la gueule d’un léopard des mers qu’elle voulait étudier.
Les victimes de l’aviation, de la foudre, de leur propre anesthésiant ou d’un pouvoir qu’ils dérangent sont nombreuses. Comme Valeri Legassov, que le Kremlin envoie se charger du léger souci qui s’est produit dans une centrale nucléaire à Tchernobyl et qui rend un rapport accablant sur les défaillances de l’industrie nucléaire russe. Mais ses conclusions ne changent rien et au deuxième anniversaire de la catastrophe, Legassov se pend.
Pierre Zweiacker, physicien et docteur ès sciences de l’Université de Lausanne qui a dirigé le laboratoire de haute tension de l’EPFL conte, dans ce livre qui est également sous haute tension, le destin tragique de 68 scientifiques. Et pour faire bonne mesure, il rajoute un chapitre avec les disqualifiés. Comme le vicomte d’Archiac, brillant géologue et paléontologue qui ne connut que la réussite et n’avait donc aucune raison de se jeter dans la Seine en 1868. Du moins pas à cause de la science.
Ou de Rudolf Diesel, qui donna son nom à un moteur, qui disparut en 1913 lors d’une traversée de la Manche en bateau: «La mort de Diesel peut avoir été due à un suicide, un accident ou un assassinat. Et encore, sommes-nous bien certains qu’il mourut? Un enlèvement, une fugue, une capture par des extraterrestres paraissent tout aussi probables. Indiscutablement, une telle absence de certitude aurait pu engendrer une angoisse, voire un doute existentiel chez les lectrices et les lecteurs les plus sensibles. De ce fait, il a semblé préférable d’écarter le cas de Diesel qui risquait de contrevenir aux objectifs de clarté du présent ouvrage, auquel nous tenons à donner un caractère résolument rassurant».
Nous voilà à la fois rassurés et amusés. Cela peut être passionnant la science. Même, ou alors surtout, quand il y a des morts.