GenèveUne école de langues suisse tente le métavers modeste
Alors que Zuckerberg investit lourdement et à long terme dans les mondes virtuels, Swiss Language Academy opte pour du préfabriqué existant. On s’y est aventuré.
- par
- Jean-Charles Canet
Dans la salle de classe se trouvent des bureaux individuels, moins de dix. Sur les murs sont accrochés des affiches, des écrans, le nom de l’école «Swiss Language Academy». Dans les coins, il y a même des bornes d’arcade avec un vrai «Pac-Man» dedans. Dans l’axe de vue des élèves, un tableau blanc fonctionnel… Les cours sont imminents, les inscriptions d’élèves ont commencé. Le prix de lancement est alléchant mais nul ne sait encore vraiment si la clientèle potentielle (composée en partie d’expatriés en Suisse soucieux de maîtriser une des langues nationales) sera conquise.
Car la salle décrite ci-dessus n’existe pas. Elle est virtuelle. On y entre à distance depuis un navigateur d’ordinateur. On se retrouve ainsi dans un métavers, terme qui est en train de s’imposer depuis que Facebook est devenu Meta et que Mark Zuckerberg a proclamé que ces mondes virtuels (le sien surtout) seraient le nouvel internet.
Félins choupinets
On s’y inscrit en choisissant un emblème général, unique car bâti sur la technologie des chaînes de blocs et des NFT (Non-fungible token). Ce sera un avatar félin choupinet unique, sorte de porte-cryptomonnaie qui ouvre toutes les portes en assurant une sécurité décentralisée. Des options alternatives plus classiques sont prévues pour les rétifs. Les cours de langues (français, allemand, italien, anglais) sont donnés à heures fixes mais les élèves n’auront pas besoin de se déplacer à Genève. Chacun reste chez soi: on suit un lien, on se connecte, on choisit son avatar d’élève (un autre que le chat, donc), on se matérialise dans un vestibule, on utilise les touches fléchées de son clavier pour se déplacer, on se rend dans la salle de cours et on s’assoit. Une touche permet ensuite d’opter pour une vue d’ensemble où à la première personne. Il s’agira de veiller à ce que le micro du PC soit activé mais l’activation de la caméra n’est pas nécessaire. Le cours peut commencer.
Anouche Karaman, directrice de Swiss Language Academy à Genève, n’est, dit-elle, pas de la génération à s’immerger spontanément dans les métavers. Mais ses enfants si. Ce sont eux qui l’ont encouragée à y jeter un œil et qui ont convaincu cette ex-banquière reconvertie dans l’enseignement d’adapter le concept à ses activités. Cette forme de diversification lui a semblé devenir encore plus pertinente après avoir constaté que les cours à distance (par visioconférence) qui ne représentaient que 10% des activités de l’école avant la pandémie de Covid sont passés à 60% pendant. Lorsque nous l’avons rencontrée, en octobre dernier, Anouche Karaman était en phase de recrutement des enseignants. Les espaces de cours, d’exercice pratique et de détente étaient encore en construction.
Un métavers en kit
La patronne était accompagnée par Joao et Arnaud, deux fondateurs d’Agartha, une jeune pousse helvétique spécialisée dans le web3, qui ont rendu fonctionnel le cadre virtuel envisagé. Il a été décidé d’utiliser «Portals», un métavers urbain existant qui permet à des «extérieurs» de construire et d’aménager leur espace propre. Le «chantier» que nous avons pu inspecter – sans être contraint de chausser un casque de réalité virtuelle, précisons-le – nous a immédiatement fait penser à une variante de «Minecraft», le célèbre jeu de construction de Microsoft.
En chemin, on constate que la navigation dans cet autre monde, si étrange et si familier en même temps, est plutôt rudimentaire. Sur un ordinateur de gamer, la fluidité des animations facilite grandement les premiers pas et l’adoption. Sur un PC standard, disons un portable de travail, l’expérience peut se transformer en soirée diapositive si on ne baisse pas drastiquement la définition et les détails graphiques. Dans tous les cas, les environnements de Portals – qui s’affichent dans la fenêtre de tout navigateur standard – assurent le minimum syndical mais jamais, à notre sens, une immersion exceptionnelle.
Anouche Karaman n’en reste pas moins persuadée que le décor est suffisant pour asseoir la supériorité du métavers au-dessus de toutes formes de visioconférence. Rendez-vous est pris dans quelques mois pour faire un bilan. Ne serait-ce que pour déterminer si le métavers se voit à moitié vide, ou à moitié plein.