Attentats du 11-SeptembreUn rescapé du WTC: «J’ai su que pour survivre, je devais raconter»
Joseph Dittmar revient de loin. Au 105e étage du World Trade Center au moment des attentats du 11-Septembre, sa descente de la tour tient de l’épopée tragique.
Quand il se remémore le 11 septembre 2001, les attentats les plus meurtriers de l’histoire américaine, Joseph Dittmar oscille entre rires et larmes: c’est en racontant comment il est sorti vivant du 105e étage du World Trade Center et en faisant revivre les disparus qu’il a réussi à tenir.
Sa descente de ces 105 étages – dont il a gardé, 20 ans après, une mémoire photographique – tient de l’épopée tragique. Ce père de quatre enfants, qui participait ce jour-là à une réunion d’assureurs dans une salle sans fenêtres de la tour sud, doit sa survie à des décisions souvent prises en quelques secondes.
Lorsque le premier avion détourné par des jihadistes percute la tour nord, les assureurs ne voient que «la lumière trembloter». Ce n’est qu’une fois arrivés au 90e étage – après avoir pesté contre les appels à évacuer – qu’ils découvrent le drame consumant la tour nord. «Ça a été les 30-40 secondes les pires de ma vie», dit-il. Ses collègues sont «comme hypnotisés». Lui veut partir immédiatement. Habitant alors à Chicago, natif de Philadelphie, il se souvient en riant avoir pensé: «Chaque fois que je viens dans cette ville, il se passe quelque chose!» Il retourne aux escaliers, heurte un collègue, un «géant», ex-joueur de football américain, Ludwig Picarro. Lui prendra le temps d’aller aux toilettes et n’en réchappera pas.
Arrivé au 78e étage, Dittmar, alors âgé de 44 ans, se souvient d’une collègue qui lui «crie dessus», l’enjoignant de prendre un des ascenseurs descendant directement au rez-de-chaussée. Cet assureur se souvient que les ascenseurs sont à proscrire en cas d’incendie. Il reprend les marches, «meilleure décision de ce qui est encore ma vie».
«Leur seul regard disait que tout était perdu»
Malgré la peur, Dittmar se souvient d’une entraide «incroyable», tel cet homme prenant sans hésiter une femme handicapée sur son dos. «C’était vraiment beau à voir. Si seulement c’était comme ça tout le temps...»
Mais les larmes reviennent lorsqu’il évoque les «vrais héros» de ces quelque 50 minutes de descente. À commencer par des pompiers et secouristes croisés au 31e étage, remontant les étages pour essayer de sauver des vies. «Leur seul regard disait que tout était perdu», dit-il. «Comment peut-on être si courageux? Comment peut-on être si fort?»
Au 15e étage, un agent de sécurité évacue les gens tout en plaisantant et en chantant «God Bless America», via mégaphone. Il chantait «horriblement» mais voulait «détendre les gens (...) Comme le capitaine du Titanic qui faisait jouer l’orchestre pendant que les gens embarquaient dans des canots de sauvetage».
Dittmar est dehors, à quelques minutes de marche du WTC, lorsque la tour sud s’effondre. Des milliers de personnes poussent un cri d’effroi, qu’aujourd’hui encore il dit entendre «tous les jours».
«Continuer à raconter»
Dittmar a raconté son histoire des centaines de fois, devant des écoliers de tout le pays, sans se lasser. «C’est ma thérapie», dit-il. En partageant sans tabous souvenirs et émotions, il a évité cauchemars, stress post-traumatique et culpabilité du survivant. «J’ai su assez vite que, pour survivre, je devais continuer à raconter.»
Avec un tatouage «911» au poignet, un pin’s des tours jumelles au col et une pierre de méditation en poche, le 11 septembre l’accompagne partout, «comme une ombre», dit-il. Il a forgé nombre d’amitiés, avec d’autres rescapés comme avec des proches de disparus. La première fois, «vous ne savez pas quoi leur dire. Mais quand vous leur parlez du bref instant où vous avez vu leur proche au 90e étage, vous le faites revivre. (...) Et vous devenez amis, amis pour la vie.»
Toujours assureur, Dittmar est devenu fan des New-Yorkais. «Ils sont étonnamment résilients, ils n’ont peur de rien... J’ai appris à les aimer.» La pandémie l’a confirmé. «C’était devenu une ville fantôme et maintenant, il y a beaucoup de monde dehors. Parce que cette ville a dit: "Nous ne nous laisserons pas abattre".»
Lui, même le coronavirus ne l’a pas abattu. Diabétique, il s’est mis à manger sainement, à marcher cinq kilomètres par jour, perdant 23 kilos. «La pandémie, un peu comme le 11 septembre, m’a transformé... Je me suis dit: je dois faire mieux.»