France TélévisionsPierre Lescure: «Je ne crois pas à la mort du cinéma»
Alors que la fréquentation des salles se redresse enfin, l’ex patron du Festival de Cannes anime un séduisant nouveau magazine de cinéma sur France 2, «Beau geste». Interview
- par
- Christophe Pinol
Depuis pile un mois, le nouvel hebdo de cinéma de France 2, «Beau Geste», a pour ambition de nous emmener tous les dimanches «au cœur du 7e art en train de se fabriquer», dixit France Télévisions. Loin de l’atmosphère guindée des plateaux, on part effectivement à la rencontre de ceux qui le font, ce cinéma. Le tout avec une réalisation soignée, presque cinématographique, des sujets variés, des angles originaux… Bref, de quoi passer une heure en bonne compagnie. Surtout quand Pierre Lescure en est le chef d’orchestre. A 77 ans, le journaliste passé par la présidence de Canal+, des studios Universal à Hollywood et du Festival de Cannes (jusqu’à l’an passé) se penche sur le 7e art, ses métiers et son actualité, avec décontraction et élégance. Mais surtout une passion diablement communicative. Rencontre.
Pierre, le cinéma vous manquait tellement qu’aussitôt après avoir quitté la présidence du Festival de Cannes, vous avez eu envie de votre propre émission sur le sujet?
Non, le cinéma ne me manque pas parce que je ne m’en éloigne jamais. Même si j’avais été charcutier, j’aurais toujours été aussi fou de cinéma. Mais en l’occurrence, à la fin de ma présidence, comme France Télévisions venait de devenir partenaire du Festival de Cannes, le patron du groupe, Stéphane Sitbon-Gomez, est venu me voir pour me dire qu’il ne trouvait pas très cohérent qu’avec le soutien que nous apportions au festival nous n’ayons pas de véritable émission de cinéma… Et il avait enchaîné: «Ça ne vous intéresserait pas?». Je lui avais dit oui, mais pas en plateau. Je n’avais pas envie qu’on retrouve un vieux Lescure, sorte de vieil Oncle Paul, entouré de jeunes chroniqueuses et chroniqueurs, avec qui je taille la bavette autour des films. On a déjà vu ça 100 fois. Je préférais une émission sans plateau où on irait in situ sur des tournages, ou des lieux choisis par des réalisateurs, actrices, ou autres… Qu’on fasse le geste d’aller vers le cinéma.
Ce geste, c’était la clef pour sortir de l’exercice promo souvent un peu laborieux dès qu’on veut parler 7e art à la télé?
Laborieux parce que répétitif, oui, avec des questions parfois bateau… Or je voulais qu’on se balade, qu’on aille voir les gens au travail. Ça donne tout de suite un autre éclairage: on voit leur vraie bobine, comment ils fonctionnent…. La semaine passée, on a rencontré le metteur en scène de théâtre et d’opéra Olivier Py sur le tournage de son premier film en tant que réalisateur. Et on est tombé sur son décorateur, un gars phénoménal qui nous peint un tableau du 17e en un quart d’heure, et qui nous montre que la magie du cinéma n’est pas faite uniquement de fonds verts.
Vous avez aussi trouvé un ton, entre respect et légèreté…
J’espère être naturel, en tout cas. Je me retrouve avec des gens pour qui j’ai de l’estime, quelque fois de l’admiration, mais qui m’ont avant tout apporté de l’émotion à l’écran. Et plus on sera naturel, plus vous, devant le petit, vous aurez un aperçu plus sincère de ces personnalités. On essaye d’avoir une conversation, entrecoupée de reportages qui viennent ouvrir d’autres fenêtres, offrir des respirations différentes…
Et votre amour à vous pour le cinéma, où trouve-t-il son origine?
Déjà, ma grand-mère m’emmenait très souvent en salles, aussi bien pour voir «Fanfan la Tulipe» que «Croc blanc». Mais vers 11 ans, j’ai commencé à y aller seul. Et j’avais un oncle qui me faisait lire les grands polars de l’époque, ceux de Dashiell Hammett, Raymond Chandler, William Burnett… Il me disait: «En plus, ces gars écrivent des scénarios, avec une science du récit – serré, à l’os – qu’ils mettent au service du cinéma». Il me faisait par exemple lire le bouquin d’Hemingway qui a servi de base au «Port de l’angoisse» et j’allais voir le film après. Rien que de constater l’efficacité folle avec laquelle tout était raconté, ça me fascinait. Et ça ne m’a jamais lâché.
Vous avez eu un parcours dingue en matière de cinéma, entre la direction de Canal+, celles d’Universal Studios et du Festival de Cannes… Avez-vous un moment qui restera gravé à jamais dans vos mémoires?
Mon vrai choc, c’est quand je me retrouve président des studios Universal et que j’arrive à Los Angeles, au siège de la compagnie, à la tour de la direction qu’on appelait la Black Tower… On me dit, vous êtes au 15e étage. J’arrive, on me montre mon bureau, je m’assois dans mon fauteuil, je me retourne vers la baie vitrée et j’aperçois tout en bas les 10 hangars des studios de tournage… Là, t’es déjà comme un gamin en sachant combien de chefs d’œuvres y ont été tournés. D’autant plus que je savais que Wong Kar-Wai y était en ce moment même, en train de réaliser son premier film américain… Je lève alors les yeux, et je vois une attraction du parc Universal, qui jouxtait le studio: un ptérodactyle en train d’étendre ses ailes… Et c’est un souvenir qui m’a marqué parce qu’il mêle à la fois l’industrie hollywoodienne, une putain d’aventure personnelle et un rêve de gosse.
Malgré ses qualités, «Beau Geste» affiche de faibles audiences: 3,5% de part de marché pour la 3e émission, battue par de petits chaînes comme W9…
…sauf que dimanche dernier, pour la 4e, on a fait 500'000 téléspectateurs! 130'000 de plus que la précédente. Il faut comprendre qu’on est diffusé le dimanche en deuxième partie de soirée, soit la veille du début de semaine. Pas facile comme créneau… Et qu’on dépend surtout de la durée du film qui nous précède. Donc vous ne savez pas très bien à quelle heure vous allez commencer, ni à quelle heure les téléspectateurs du film de TF1 vont éventuellement nous rejoindre. Dimanche passé, on a commencé un peu plus tôt et comme par hasard on a fait une bien meilleure audience. Là, cette semaine, on débute à 22h45: c’est bien.
Comment voyez-vous l’évolution du cinéma? Certains prédisent sa mort, d’autres simplement la disparition des films indépendants au profit des blockbusters…
Vu mon grand âge, ça doit être la 3e fois qu’on m’annonce que le cinéma va morfler. D’abord avec l’explosion de la télé dans les années 60-70, puis quand Canal+ s’est lancé dans la télévision à péage… Je ne dis pas que le cinéma va retrouver les scores des années 2018-19, avant le Covid et l’explosion des plateformes, mais je ne crois pas à sa mort. Les blockbusters, français ou américains, vont continuer à drainer un public important. Et quand vous allez au cinéma, vous avez envie d’y retourner. Ce qui redonne un peu de respiration aux films indépendants.
Quel est le dernier film qui vous a fait vibrer?
Tenez, c’était ce matin: on a vu en projection de presse le premier volet des «Trois mousquetaires», avec François Civil, Vincent Cassel… (sortie le 5 avril en Suisse)! La salle était comble: 1200 journalistes… Je sentais l’émotion de tous mes confrères, pourtant souvent blasés de chez blasés, et on se demandait tous si on allait être touchés de la même manière que lorsqu’on était gamin, ou si on allait se retrouvés trahis… Or, le film fonctionne vraiment bien. L’émotion était palpable dans la salle! Le cinéma, c’est vivant. Participer à l’émotion collective, c’est quelque chose de fort. Un truc très particulier qu’on ne retrouve pas ailleurs. Et ça ne m’empêche pas d’aimer aussi les séries. Ou d’autres choses, comme le jambon persillé (il rit)!
Quels sont les points forts de l’émission de ce soir?
On nous a d’abord ouvert les portes de la maison de Stanley Kubrick. On va y découvrir son univers, ses objets personnels… Un beau sujet! Sandrine Kiberlain nous emmènera ensuite au Conservatoire de Paris, qu’on voyait surtout jusqu’ici à travers le prisme du trio Belmondo, Rochefort et Marielle, qui sont adorables, mais ça date un peu. Et là, on retrouve Sandrine dans les salles où elle répétait, où elle a passé ses auditions… On a l’impression de la voir redevenir gamine, elle bouge différemment, et je trouve ça très beau.
Et puis j’ai voulu passer un peu de temps avec Florian Zeller, qui vient de réaliser «The Son» avec Hugh Jackman. Ce dramaturge français a un parcours tellement fou: avoir lancé «Le père» et «Le Fils» au théâtre, en France, puis triomphé pendant deux ans à Londres, puis deux ans à Broadway; avoir réalisé lui-même l’adaptation cinématographique du premier; obtenir le César du meilleur film étranger en France, puisque le film est majoritairement produit avec des capitaux américains; et décrocher enfin l’Oscar à Hollywood du meilleur scénario adapté… Il fallait bien qu’on évoque tout cela avec lui!