Un livre, un éditoLettre à Maëlys, tuée à 8 ans et demi
Ce lundi 31 janvier 2022, le procès de ton meurtrier s’ouvre à Grenoble. Alors que ta maman te consacre un livre pour que tu ne disparaisses pas une seconde fois après le verdict, nous nous adressons à toi.


Le 5 novembre 2021, Maëlys De Araujo aurait eu 13 ans. Sa maman Jennifer vient de publier un livre où elle raconte sa fille. Elle en avait assez qu’on ne parle que de son meurtrier. Elle raconte aussi la perte, l’impossible deuil, l’enquête et les turpitudes émanant du tueur.
Photo de familleChère Maëlys,
Ce 26 août 2017, tu sautes de joie, tu sautes dans ta jolie robe blanche, tu chantes Kendji Girac. C’est avec lui que tu veux te marier ou avec Ronaldo. Tu hésites encore. Tu débordes d’énergie, de curiosité, de rêves. Le 5 novembre, tu auras 9 ans. Tu es une grande. Tu choisis ta coiffure dans un salon. Tu quittes ta maison de Mignovillard dans le Jura français pour l’Isère et Pont-de-Beauvoisin. Le cousin de ta maman se marie. C’est la fête. Tu en fais des allers-retours entre les copains et la salle du mariage pour ne pas inquiéter tes parents. Un bisou de maman - ce sera le dernier - après avoir goûté au dessert qui ne te plaît pas et tu repars jouer. Il est 2h du matin, ce 27 août. 45 minutes plus tard, l’enfer débutera pour l’éternité: ta disparition et déjà la condamnation à perpétuité pour toute ta famille, aujourd’hui disloquée, chacun puisant ses forces où il peut, dans la colère ou dans le repli. Ils ne te reverront jamais. Pas même dans ton petit cercueil blanc.
Si je choisis de m’adresser à toi, Maëlys, c’est parce que ton histoire - et non «l’affaire Maëlys», ce n’est pas toi «l’affaire», c’est lui - a ému la France entière et bien au-delà. Tu es entrée dans tous les foyers, tu vivais tout près de la frontière, ton père travaillait en Suisse. Tu n’es tristement pas la première enfant enlevée et tuée par un monstre. En revanche, les circonstances sont effroyables et confinent à une perversité dont l’intensité est extrême. Avec ton prédateur qui participe à ta recherche (ndlr. six mois plus tôt, il a tué le caporal Arthur Noyer à Chambéry et peut-être d’autres), avec ce serial pédophile qui nie fermement, puis qui affirme six mois plus tard que c’est un accident. Il prétend que tu hurlais trop dans sa voiture, alors qu’il t’a giflée et t’a porté plusieurs coups à la tête. Avec ce criminel qui impose cruellement le moment où il conduira enfin les enquêteurs et la justice dans le Massif de la Chartreuse, là où il t’a abandonnée comme un déchet. Ce sera le jour de la Fête de l’Amour, le 14 février 2018. Ton meurtrier torture ta famille par son silence. Il rythme ses aveux parcellaires. Et a l’outrecuidance de s’excuser.
Une semaine plus tard, je suis montée là-haut, en pensant aux balançoires vides que j’ai vues dans ton jardin dans le Jura et au nom de la rue qui mène chez toi: la rue du Calvaire. J’ai marché dans les pas du monstre, j’ai vu dans la neige les traces des chiens que tu aimais par-dessus tout, tu en avais trois. Ce sont eux, les chiens policiers, qui ont fini par te retrouver. Partiellement. «Ton crâne et un os long», dira le procureur au bord des larmes. Tes restes, quelques os sur la table glacée du légiste, ces mots insupportables que ta maman évoque dans un livre tout juste publié avant l’ouverture du procès de l’«Autre». Elle y parle de toi, de ta bienveillance, de tes clowneries. De votre quotidien qui bascule. De son cheminement pour survivre à ta perte. C’est bouleversant d’amour, de cet amour inconditionnel que l’on ne réserve qu’à la chair de sa chair. Bouleversant de courage et d’effroi aussi. Pas un livre thérapie. Pas un livre de victime ou de complaintes. 250 pages impossibles à lire - souvent à relire - d’un trait. Trop dense. De la souffrance à chaque ligne. Ta maman a creusé tout au fond d’elle-même, au plus près, au plus juste, pour écrire l’indicible. Elle est devenue une guerrière. Pour toi, grâce à toi, à cause de lui. Une guerrière qui saigne.
Elle, si discrète avec ton papa, lorsque, pour la première fois devant les médias, elle implore ton tueur à parler, rivée à sa feuille de papier. Elle qui se demande si les journalistes compatissent. Depuis plusieurs semaines, c’est tout le contraire. Sa blessure béante et la rage l’ont transformée. Ta maman est sur tous les plateaux de télévision, dans tous les médias. Ton papa est plus en retrait, il t’a aussi écrit une lettre aimante et tendre à la fin du livre, il te dit qu’il va mal. Ta sœur aînée Colleen combat ton manque à sa manière. Elle est forte. Et désormais, seule. Le clan à quatre est amputé, le lien perdurera, c’est tout le propos de l’ouvrage paru. Ta maman a quitté son emploi d’infirmière au Service des fins de vie de l’Hôpital de Pontarlier pour ne pas devenir folle et a refusé le poste qu’elle avait elle-même demandé à la maternité. Elle sera infirmière libérale. Elle vient souvent te voir, te parler. Et te demander pardon. Oui, pardon de ne pas avoir tenu sa promesse de te protéger des méchants. Sa culpabilité l’accompagnera jusqu’à ce qu’elle te rejoigne, là où tu te trouves. À quel instant a-t-elle failli dans ta surveillance? Combien de fois a-t-elle senti ce poids dans le regard des gens? «Je suis mon pire bourreau», écrit-elle.
L’«Autre», le «T-shirt bleu», l’ancien maître-chien de l’armée, elle l’a vu ce soir-là. L’invité de dernière minute. Elle s’en veut tellement. Avec toi, elle a regardé sur son portable des photos de ses chiens. C’est elle qui a mis les enquêteurs sur sa piste et c’est toi qui as réussi à le mettre hors d’état de nuire. Posé ainsi, c’est d’une dureté incommensurable, mais c’est bien ce que martèle dignement celle qui t’a mise au monde. Elle t’appelle toujours «Mon poussin». En novembre dernier, tu aurais eu 13 ans. Tu ne deviendras jamais footballeuse, pompier, gendarme ou agricultrice. De ces assises, ta famille espère beaucoup, a minima une respiration. La sentence clairement, pour qu’il ne ressorte jamais. Elle ne sera pas réparatrice. Ce qui le sera(it) davantage, c’est que le récidiviste qui a volé ta vie et celle des tiens explique devant la Cour comment tu es décédée, ce qu’il t’a vraiment fait. Les légistes n’ont pas pu déterminer la cause de ton décès. Le viol - a priori le mobile - n’a pas été retenu faute de preuves matérielles, il planera pourtant en première ligne au Tribunal, tout autant que ton meurtre, ton enlèvement et ta séquestration. Savoir ce qu’il s’est passé cette nuit d’août 2017, pourquoi tu es montée dans son Audi, quelles ont été tes dernières paroles? Plus de quatre ans que ta maman, ton papa, ta grande sœur, tes grands-parents, tes proches attendent la vérité et les réponses de ce manipulateur diagnostiqué. Tous craignent un nouveau supplice. De nouveaux mensonges. Ou, pire, son mutisme.
Maëlys, comment mettre un point final qui n’existe pas à cette lettre que je me suis permise de t’écrire après avoir lu le récit de ta maman? Il est temps que je te laisse. Les portes du Palais de justice vont s’ouvrir. Tu y seras partout. La peine et la douleur vont envahir la salle d’audience, le droit et son arsenal aussi. Ça fera mal. Encore.
«Maëlys. Ma fille. Tuée. À 8 ans et demi.» de Jennifer De Araujo avec Tiphaine Pioger. Éditions Robert Laffont. Une partie des droits d’auteur seront reversés à l’Association Petits Princes.
*Le procès se tient à Grenoble jusqu’au 18 février 2022.