Cyclisme: Gino Mäder était sensible aux discriminations et à l’avenir de la planète

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CyclismeGino Mäder était sensible aux discriminations et à l’avenir de la planète

En août 2022, Le Matin Dimanche consacrait un portrait au cycliste suisse tragiquement décédé vendredi 16 juin. Cet article mettait en lumière un personnage attachant aux multiples facettes et talents. 

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Gino Mäder, ici lors du Tour d’Italie en 2021, représentait l’avenir du cyclisme helvétique. Il est décédé vendredi des suites d’une chute tragique en cours sur le Tour de Suisse.

Gino Mäder, ici lors du Tour d’Italie en 2021, représentait l’avenir du cyclisme helvétique. Il est décédé vendredi des suites d’une chute tragique en cours sur le Tour de Suisse.

AFP

«Dans les années 1990, ma mère adorait un personnage de film nommé Gino et a décidé de nommer son fils ainsi», expliquait Gino Mäder, l’homonyme suisse de la légende italienne Gino Bartali, en août 2022, dans un portrait qui lui était consacré dans Le Matin Dimanche. 

Depuis 1997 et la dernière victoire d’Alex Zülle sur la Vuelta, plus aucun coureur helvétique ne s’est imposé sur l’un des grands tours. «Et si c’était lui, le «Gino suisse» né en 1997 comme un clin d’œil du destin, qui devenait un jour ce successeur tant attendu?», s’interrogeait le journal dominical l’été dernier, juste avant le Tour d’Espagne 2022. «J’ai franchi un cap, mais ma progression se poursuit et les résultats arriveront», notait pour sa part Gino Mäder. 

Cinquième et meilleur jeune du Tour d’Espagne l’année précédente, deuxième du Romandie 2022 grâce à un tour de force dans le chrono final à Villars, la pépite bernoise avait éclos au printemps 2021 avec des victoires d’étapes sur le Giro, puis le Tour de Suisse. «Gino adorait le cyclisme mais il avait un peu de peine à se faire confiance, expliquait son ancien mentor sur piste, Daniel Gisiger, en août 2022. On décelait de nombreuses qualités mais il n’était pas réellement conscient de celles-ci et un peu dispersé. C’était un jeune très sensible qui avait de la peine à se concentrer sur un objectif précis.»

«Gino a clairement les qualités pour gagner un jour la Grande Boucle»

Dans Le Matin Dimanche du 21 août 2022, Stefan Bissegger ne tarissait pas d’éloges sur Gino Mäder.

Parmi la génération dorée du cyclisme suisse, Gino Mäder est resté longtemps dans l’ombre de Küng, Hirschi ou Bissegger. C’est lors du divorce de ses parents, à l’adolescence, qu’il s’est décidé à devenir professionnel. L’ado malicieux y a vu un moyen de forcer ces deux anciens cyclistes à se retrouver sur ses courses. En 2015, le Suisse devient vice-champion du monde de poursuite par équipes juniors avec notamment un certain Stefan Bissegger, qui disait d’ailleurs en 2022 que «Gino a clairement les qualités pour gagner un jour la Grande Boucle». 

«La piste lui a permis d’élargir son panel d’habiletés techniques. Mais aussi de sprinter tous les dix tours, d’apprendre à lire la course, de se placer ou d’analyser ses adversaires», énumérait Daniel Gisiger dans le portrait qu’avait consacré Le Matin Dimanche à Gino Mäder.

Sa carrière prend un virage définitif vers la route en 2018, lorsqu’il remporte deux étapes du Tour de l’Avenir. Sur ce «petit frère du Tour de France» réservé aux U23, il se classe troisième du général remporté par Tadej Pogacar. «Il était intouchable, toujours calme et en contrôle, expliquait le Bernois, alors âgé de 25 ans. Tadej va bientôt trouver sa limite j’espère, alors que moi j’ai encore des paliers à franchir dans ma progression.»

Eclosion sur le tard

Lors de cette prolifique saison 2018, Gino Mäder termine quatrième du championnat du monde sur route espoirs, remporté par son compatriote Marc Hirschi. Ce dernier explose lors de la saison 2020 – victoire d’étape sur le TDF, bronze aux Mondiaux, victoire sur la Flèche Wallonne – alors que Gino Mäder est encore un anonyme du peloton. 

«Bien sûr que j’ai douté en voyant les carrières de Marc (Hirschi) et de Stefan (Bissegger) décoller alors que la mienne stagnait, reconnaissait à l’époque le Bernois. Ma première année professionnelle n’était pas idéale, je me suis cassé le poignet et j’ai été freiné. Mais je savais que si je trouvais mon espace et mon rythme, le succès viendrait aussi pour moi. Mon chemin a juste été plus lent mais je suis encore jeune, non?»

Danilo Wyss, qui a partagé le même maillot (Dimension Data puis NTT) que Mäder lors des deux premières années professionnelles du talent, se souvenait de son côté d’un «mec intelligent, calme, discret et assez solitaire.» Le Vaudois n’avait pas non plus oublié l’ambition du jeune coureur, qui s’était illustré dès sa première épreuve en Argentine. «Il avait énormément de choses à prouver, mais il lui manquait de la constance, expliquait le retraité du peloton, dans l’article paru en août 2022 dans Le Matin Dimanche. Gino venait souvent vers moi pour comprendre ce qui ne lui paraissait pas logique. Son intérêt pour tout ce qui entoure la course – l’équipe, le staff ou la logistique – m’avait frappé. Car c’est peu commun chez un néo-pro.»

Cheveux bouclés, lunettes rondes, maths et poésie

Avec ses cheveux bouclés en pagaille et ses lunettes rondes, Gino Mäder pourrait se confondre avec un étudiant sorti de l’EPFZ, notait l’auteur de l’article dans le Matin Dimanche, avant de consacrer un passage aux autres passions de Mäder: le cycliste bernois, qui n’hésitait pas à ramener son chien adopté en Espagne lors de rendez-vous médiatiques, était un féru de mathématiques. «Cette passion se marie bien avec le cyclisme puisque tout y est question de chiffres: la puissance, les watts, etc, expliquait le coureur helvétique. Ils ne mentent pas, alors que les mots laissent plus de place à l’interprétation.»

Une préférence pour les chiffres qui ne l’empêchait pas de se plonger dans les poèmes et notamment ceux de Goethe, qu’il dévorait. «Je n’ai pas fait le gymnase et en rencontrant ma copine, qui est étudiante, j’avais l’impression de manquer quelque chose, soulignait-il à l’époque. Du coup, je me suis mis à lire. Énormément. On a beaucoup de temps creux en cyclisme et lors des entraînements, j’ai le temps de réfléchir et de philosopher sur mon vélo.»

Il se posait beaucoup de questions

En route, ses préoccupations se tournaient très souvent vers l’avenir de la planète. «Nous passions nos vacances estivales en famille à Viège, et j’ai vu le glacier d’Aletsch reculer chaque été, soupirait-il. Je suis conscient que ma vie de cycliste et les déplacements en avion font partie du problème. Je les évite pour les vacances et je ne mange plus de viande. J’essaie aussi de pousser mon équipe à prendre le train, dès que c’est possible.»

Pour passer des paroles aux actes, le Bernois avait décidé de verser un franc à chaque coureur placé derrière lui après chaque étape de la Vuelta en 2021. Victime de son succès, il avait fait don de 5’000 francs à une organisation dont la mission est de reverdir l’Afrique. «Cette année, je vise environ 10’000 francs à la fin de la saison, j’ai une vie de privilégié donc c’est ma manière d’aider», soulignait le coureur, sensible aux discriminations raciales et de genre. «Gino se pose beaucoup de questions, il n’est pas aveuglé par ce qu’il est en train de faire et jamais subjugué par ses résultats», résumait Daniel Gisiger, qui l’avait mis en piste.

Depuis vendredi 16 juin, le monde du cyclisme est en deuil, après la disparition tragique du coureur suisse, à l’âge de 26 ans, victime d’une lourde chute, jeudi, lors de la 5e étape du Tour de Suisse. 

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