PartenariatLa tentation de croire en une technologie miracle
La science met en évidence les problèmes liés au développement de plantes cultivées modifiées par édition génomique.
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Les nouvelles techniques de génie génétique ne sont simplement pas des technologies miracles qui méritent d’être dérégulées. Bien au contraire.
ShutterstockLes lobbyistes du secteur des biotechnologies et les cercles politiques qui leur sont liés ne cessent de répéter que ce sont les dispositions légales qui empêchent l’édition du génome (c.-à-d. la modification génétique de plantes à l’aide de ciseaux moléculaires du type CRISPR) de tenir ses promesses. Or, dans un article publié récemment*, des scientifiques gouvernementaux argentins constatent que ce n’est pas la loi, mais plutôt des restrictions techniques qui entraînent des retards dans la commercialisation. Les nouvelles techniques de génie génétique ne sont simplement pas des technologies miracles qui méritent d’être dérégulées. Bien au contraire.
Et oui, les scientifiques auraient des difficultés à introduire des propriétés souhaitables à l’aide de CRISPR dans les plantes cultivées et à mettre sur le marché des lignées de plantes cultivées commercialisables. Le fait que ce soit justement des scientifiques gouvernementaux qui arrivent à cette conclusion est extrêmement surprenant, étant donné que l’Argentine a déjà déréglementé l’utilisation des nouvelles technologies génétiques dans l’agriculture.
Une affirmation fausse
Les auteurs soulignent que «la conviction qui prévaut dans la communauté scientifique» est que la modification directe de variétés élite (pour faire simple des variétés qui possèdent les caractères souhaités pour la culture) à l’aide de ciseaux génétiques permet d’éviter les longs processus de transfert du matériel génétique souhaité et de développement d’une variété commerciale viable, qui ont entravé le développement des OGM classiques. C’est certainement l’affirmation la plus souvent répétée par les promoteurs de la dérégulation. Mais elle est fausse, expliquent les auteurs de l’article. «Le processus d’optimisation de la transformation génétique d’une variété, de sa génération à la caractérisation d’événements modifiés dans des conditions de terrain, de la multiplication des semences et de l’enregistrement des variétés est long», poursuivent les auteurs.
Ils mentionnent comme problème supplémentaire les nombreux fragments d’ADN étrangers qui entrent involontairement dans les cellules végétales modifiées par CRISPR pendant le processus de modification génétique. Ceux-ci peuvent rester dans la plante prête à être commercialisée. Cela devient un problème lorsque la plante est présentée comme «sans gène étranger», ce qui est l’une des affirmations les plus courantes en faveur des plantes cultivées modifiées par édition génomique et l’un des principaux arguments en faveur de l’exemption de la réglementation actuelle sur les OGM. L’identification et l’élimination de ces fragments sont coûteuses.
CRISPR inadapté?
Les chercheurs argentins constatent également que l’intégration de plusieurs copies de gènes dans les plantes cultivées peut s’avérer coûteuse. Ils conseillent donc de ne modifier qu’un seul gène afin d’accélérer la production de variétés modifiées commercialement viables. Or, CRISPR est vantée comme technologie miracle pour produire des variétés complexes qui doivent répondre à des problèmes complexes. Pour les changements climatiques, il est par exemple attendu des variétés tolérantes à la sécheresse. Or, ces caractères sont extrêmement complexes d’un point de vue génétique et impliquent de nombreux gènes. Impossible donc à réaliser pour l’instant.
Les plantes génétiquement modifiées de première génération ont été développées par de grandes entreprises dont les investissements élevés étaient justifiés par des bénéfices tout aussi élevés. Dans le cas du nouveau génie génétique, il n’y aurait pas de caractéristiques simples qui promettent de gros bénéfices.
Pourtant on nous martèle que cette technologie est tellement sûre que les gouvernements n’ont qu’à lever le pied sur la réglementation pour qu’elle donne rapidement des résultats remarquables – notamment une réduction des prix des denrées alimentaires et donc une solution rapide à l’actuelle crise des prix des denrées alimentaires. Mais la réalité est que les difficultés techniques sont si grandes que le secteur public doit intervenir et subventionner fortement la technologie. Ou alors elle n’ira pas loin… une fois de plus il est demandé au secteur public de supporter les risques que l’industrie ne veut pas prendre pour soutenir un projet qui a déjà échoué. Les bénéfices eux se calculeront en droits de propriété intellectuelle privés et en semences améliorées plus chères pour les paysans.
La Suisse, le mouton de l’Europe
Une arnaque dangereuse qu’il conviendrait d’éviter. C’est tout à fait possible, si nos politiques décidaient finalement de promouvoir les solutions existantes qui fonctionnent comme l’agroécologie, l’agriculture biologique et d’investir dans une sélection végétale adaptée à ces modes de cultures tout en régulant ces nouvelles techniques de génie génétique et en demandant aux fabricants de les évaluer et de montrer leur efficacité.
La tentation de croire en une technologie miracle qui nous permettra de tout faire comme avant est forte puisqu’elle ne demande aucun courage politique et aucun changement des pratiques dans le milieu agricole. Malheureusement, la réalité est différente et un changement de paradigme est urgent et nécessaire.
Le résultat des votations fédérales sera probablement déterminant dans ce dossier puisqu’une réponse législative de la Suisse est attendue pour 2025… qui en attendant observe ce que fait l’Union européenne.
* Multiple challenges in the development of commercial crops using CRISPR/Cas technology
En partenariat avec «La semaine du goût»
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