Bande dessinéeDans la jungle, personne ne vous entend crier
Le Belge Thomas Legrain, dessinateur de la série «Sisco», se lance en solo dans un jeu de massacre fantastique durant la guerre du Vietnam. Interview.
Au Vietnam, en 1965, une section américaine patrouille dans la jungle. Mais le Viêt-Cong deviendra bientôt le cadet de ses soucis. Un autre ennemi, invisible et bien plus redoutable frappe les soldats, l’un après l’autre. Les habitants du pays l’appellent le Latah. Difficile en lisant ce récit de ne pas faire le lien avec deux films: «Predator» et «Platoon». Pourtant, Thomas Legrain, rencontré à l’occasion du Salon du livre à Genève, a surtout pensé à un troisième pour imaginer son récit.
«C’est «L’échelle de Jacob» qui m’a donné l’idée de départ». Il s’agit d’un film d’Adrian Lyne de 1990 dans lequel Tim Robbins est victime d’hallucinations effrayantes à son retour de la guerre du Vietnam. «Je voulais faire un album de «survival fantastique», dans lequel une petite équipe est éliminée homme après homme par une menace fantôme». Comme dans «Predator», précisément, ou encore «Alien». «Le terme «latah» existe; en indonésien, c’est un état de transe provoqué suite à un traumatisme. Je lui ai en quelque sorte donné corps».
Un auteur prolifique et efficace
Thomas Legrain a conçu cette histoire dans un contexte un peu spécial: il n’avait plus de contrat. Une situation inédite pour ce Belge de 42 ans qui dès son entrée dans la BD, a enchaîné les séries, en menant même deux de front au début: «L’agence» et «Mortelle Riviera». Viennent ensuite les 12 tomes de «Sisco» ainsi que trois de «The Regiment», avec un one shot, «Bagdad Inc.». Jolie bibliographie pour un dessinateur hyperefficace et prolifique, c’est peut-être parce que sa grand-mère maternelle était la sœur du célèbre auteur Jijé.
Mais voilà, il se retrouve à devoir imaginer autre chose. Et il a la chance que son éditeur, Le Lombard lui propose un album dans la collection prestige de la maison, «Signé». «Je ne me sens pas du tout scénariste, donc j’avais tout à prouver avec cet album. J’ai compensé avec le graphisme, je l’ai poussé à 150%. Ne dessiner quasi que de la jungle, c’était aussi un sacré défi. Je ne savais pas si j’allais carrément m’y perdre».
Mais non, comme toujours, Legrain est diablement efficace, la liberté de mise en page que lui donne cette collection lui permet de jouer avec la planche, le rythme, et de réaliser un long récit de 128 pages sans que l’on s’ennuie un seul instant. Autre point fort: contrairement à beaucoup de récits de ce genre, le groupe de départ de «Latah» n’est pas soudé: il y a des tensions, des rivalités, des haines.
Suspense jusqu’au bout
Et quelle est cette menace qui pèse sur le groupe, existe-t-elle seulement ou n’est-ce que le reflet de la terreur d’un groupe isolé en pleine jungle? Laissons au lecteur le bonheur de le découvrir, mais Legrain reste toujours aux limites du fantastique et du réel, capable en plus de nous concocter plusieurs fins à rebondissement. Une BD aussi percutante que sa couverture.
La suite? «Après le thriller politique, les récits d’armée, je vais me lancer dans la science-fiction et je retrouve un scénariste, Nicolas Jarry (auteur notamment de la série «Nains»). Cela se passera en Russie, je pourrai dessiner des robots dans un univers mêlant technologie et décrépitude».