AfghanistanJoe Biden ne peut garantir «l’issue» de l’opération d’évacuation
Pour la deuxième fois de la semaine, le président américain a défendu le plan d’évacuation d’Afghanistan et a évoqué une «mission dangereuse».
La crainte grandit que les talibans trahissent leur promesse de gracier leurs opposants, dont des dizaines de milliers cherchent désespérément à fuir l’Afghanistan par l’aéroport de Kaboul, via un pont aérien «difficile» dont le président américain Joe Biden a reconnu ne pouvoir garantir «l’issue».
Après deux décennies de guerre contre les forces gouvernementales, américaines et de l’Otan, les insurgés ont pris dimanche Kaboul, après une campagne militaire fulgurante qui a vu s’effondrer l’armée afghane. Des dizaines de milliers d’Afghans se sont précipités dès lundi à l’aéroport de la capitale pour fuir leur pays. Un gigantesque pont aérien impliquant de nombreux pays, notamment occidentaux, a été mis en place, évacuant des milliers de personnes.
Les États-Unis à eux seuls prévoient de faire partir 30’000 personnes. Les troupes américaines sont brièvement sorties de l’aéroport pour récupérer 169 personnes qui se trouvaient non loin en ville, a indiqué vendredi le Pentagone. L’armée américaine a déployé trois hélicoptères pour évacuer ces 169 Américains.
Trois appareils Chinook ont quitté le périmètre sécurisé de l’aéroport pour rallier un hôtel non loin de là, le Baron, et embarquer les ressortissants américains, a précisé le porte-parole du Pentagone, John Kirby. C’est la première fois depuis le début de la crise que l’armée américaine fait montre de sa capacité à quitter l’enceinte sécurisée de l’aéroport pour venir en aide à des personnes souhaitant quitter le pays.
Une opération parmi «les plus difficiles de l’histoire»
Mais ils sont encore très nombreux, coincés entre les postes de contrôle talibans et les barbelés posés par l’armée américaine, dans l’attente désespérée d’un vol. Coups de feu sporadiques, routes paralysées par la foule: la situation est chaotique. Et entrer dans l’aéroport devient «un défi de plus en plus épineux», a déploré vendredi le secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg, appelant, comme le G7 et l’ONU, les talibans à laisser partir ceux qui le veulent.
Parmi d’innombrables témoignages poignants, une vidéo postée sur les réseaux sociaux montre des Afghans faisant passer un bébé en pleurs par-dessus la foule à l’aéroport et le donnant à un soldat américain. De nombreux Afghans s’amassent aussi près des ambassades dans l’espoir d’être évacués, mais ne peuvent y entrer.
Joe Biden, très critiqué pour le départ précipité de ses troupes d’Afghanistan, a reconnu vendredi, dans sa seconde allocution télévisée en quelques jours, ne pas pouvoir garantir «l’issue finale» de cette opération d’évacuation parmi les «plus difficiles de l’histoire». Selon lui, les États-Unis ont fait partir plus de 13’000 personnes d’Afghanistan depuis le 14 août. Il a jugé que ce retrait chaotique n’affectait cependant pas la «crédibilité» des États-Unis.
Reprise des évacuations
Les évacuations de civils ont repris vendredi à l’aéroport de Kaboul après plusieurs heures d’une suspension due à la saturation de la base américaine au Qatar, vers où les évacués étaient dirigés dans un premier temps, a annoncé le Pentagone. «Les vols ont repris et les vols militaires américains à destination du Qatar et d’autres lieux décollent, et d’autres vols décollent à destination de Kaboul à l’heure où je vous parle», a déclaré à la presse le général Hank Taylor, de l’état-major américain.
La suspension des vols s’est produite «tôt ce matin et ça a duré six à sept heures», a-t-il ajouté. Les États-Unis, qui recherchent d’autres destinations initiales pour ces vols, ont obtenu le feu vert de Berlin pour que certains évacués soient dirigés vers l’Allemagne, où les États-Unis disposent de nombreuses bases militaires, notamment la grande de Ramstein et son important hôpital militaire.
Un haut responsable du commandement militaire chargé du transport aérien (Air Mobility Command) avait un peu plus tôt indiqué qu’il n’y avait eu aucun départ de Kaboul pendant «une période considérable» en raison de l’engorgement des bases dans la région. Le général Dan DeVoe avait confirmé que le problème était de «gérer les capacités» sur ces bases militaires peu équipées pour accueillir des milliers de réfugiés.
Conditions précaires
Le département d’État a été critiqué pour sa gestion bureaucratique de la crise, qui voit des milliers de personnes âgées et d’enfants attendre pendant plusieurs jours dans des conditions précaires les documents qui leur permettront de quitter ces bases intermédiaires pour atteindre les États-Unis.
Des témoignages d’Afghans évacués vers le Qatar font état de centaines de personnes dormant à même le sol dans des hangars à avions pendant plus de trois nuits d’affilée, dans une chaleur suffocante et avec un accès très limité à des toilettes ou des douches.
Les talibans tentent de convaincre qu’ils ne cherchent pas à se venger de leurs anciens ennemis, promettant de «nombreuses différences» par rapport à leur précédent règne, entre 1996 et 2001, quand ils avaient imposé une version ultra-rigoriste de la loi islamique qui empêchait les femmes de travailler ou étudier et punissait de sanglants châtiments les voleurs et les meurtriers.
Les journalistes inquiets
Mais selon un rapport d’un groupe d’experts travaillant pour l’ONU, les nouveaux maîtres de l’Afghanistan possèdent des «listes prioritaires» d’Afghans recherchés, les plus menacés étant les gradés de l’armée, de la police et du renseignement. Le rapport indique que les talibans effectuent des «visites ciblées» chez les personnes recherchées et leurs familles. Leurs points de contrôle filtrent aussi les Afghans dans les grandes villes et ceux souhaitant accéder à l’aéroport de Kaboul.
«Nous nous attendons à ce que les individus ayant travaillé pour les forces américaines et de l’Otan et leurs alliés, ainsi que les membres de leurs familles, soient menacés de tortures et d’exécutions», dit Christian Nellemann, directeur du groupe d’experts. L’ex-ministre de l’Intérieur Masoud Andarabi, en fuite à l’étranger, a déclaré à la radio britannique Times que les talibans avaient «étendu et accentué leurs recherches ces dernières 24 heures».
Des talibans recherchant un journaliste de Deutsche Welle (DW), désormais installé en Allemagne, ont abattu mercredi un membre de sa famille et en ont grièvement blessé un autre, a signalé la radio allemande. Selon DW, les talibans ont perquisitionné au moins trois de ses journalistes, le patron d’une radio locale a été abattu, et Nematullah Hemat, de la chaîne privée Ghargasht TV, a été arrêté.
La Fédération internationale des journalistes (FIJ) indique avoir reçu «des centaines de demandes d’aide» de professionnels de l’information afghans, majoritairement des femmes, chez qui règnent «la panique et la peur». Les talibans affirment que leurs hommes n’étaient pas autorisés à agir ainsi. «Certaines personnes le font encore, peut-être par ignorance (…) Nous avons honte», a tweeté un de leurs hauts responsables, Nazar Mohammad Mutmaeen.