ManifestationsLes civils refusent de collaborer avec l’armée au Soudan
Lundi, le général Abdel Fattah al-Burhane avait proposé de laisser la place à un gouvernement civil. Une proposition refusée par le principal bloc civil mardi.
Le principal bloc civil du Soudan a rejeté mardi la proposition du général putschiste Abdel Fattah al-Burhane de laisser la place à un gouvernement civil, dénonçant un «retrait tactique» destiné à maintenir l’influence de l’armée dans le pays.
Les Forces pour la liberté et le changement (FLC), colonne vertébrale du gouvernement civil limogé lors du putsch mené par le chef de l’armée le 25 octobre 2021, ont appelé à «maintenir la pression populaire» contre le pouvoir militaire, au sixième jour de sit-in anti-putsch dans la capitale et ses banlieues.
Lors de la «révolution» qui a renversé en 2019 un autre militaire, le dictateur Omar el-Béchir, les manifestants avaient maintenu leurs sit-in huit mois durant. Ils avaient alors obtenu de l’armée qu’elle partage le pouvoir avec les civils des FLC pour mener le pays vers ses premières élections démocratiques. Le putsch du général Burhane a brutalement changé la donne en octobre.
«On veut la liberté»
Son annonce de laisser la place à un gouvernement civil – de fait un retour au statu quo d’avant son coup de force – n’a pas convaincu dans la capitale et ses banlieues où de nouvelles barricades ont été montées après son discours lundi soir.
Le mouvement gagne désormais d’autres villes. Mardi, des centaines de manifestants ont lancé un nouveau sit-in à 200 km plus au sud, à Wad Madani, ont rapporté des témoins. «Nous ne partirons pas d’ici avant d’obtenir un gouvernement civil», déclare l’un d’eux à l’AFP, Mahmoud Mirghani.
«On a lancé ce sit-in en réponse au discours de Burhane le putschiste, on veut la liberté, la paix, la justice et un gouvernement civil», renchérit une autre manifestante, Safa Abderrahim. Les FLC, elles, ont vu dans l’annonce du général Burhane «une trahison» et un moyen pour l’armée – aux commandes du Soudan quasiment sans interruption depuis l’indépendance en 1956 – de garder la haute main sur la politique et l’économie.
«Pression sur les civils»
Car le général Burhane a annoncé qu’aux côtés du gouvernement civil siégerait un Conseil suprême des forces armées dont il n’a pas défini les prérogatives. «C’est une façon pour Burhane de rester au pouvoir pour toujours», affirme un manifestant à Khartoum qui a requis l’anonymat.
Pour Kholood Khair, spécialiste du Soudan pour Insight Strategy partners, «Burhane déplace désormais la pression sur les civils», alors que le pays est privé de l’aide internationale depuis le putsch et pris entre dévaluation exponentielle et inflation à plus de 200%. Et surtout, ajoute-t-elle, son Conseil suprême lui «permettra de maintenir les privilèges économiques» des militaires et paramilitaires.
«Tout le peuple soudanais a vu l’économie s’écrouler depuis le coup d’État», lance un manifestant à Khartoum alors qu’aujourd’hui encore 80% des ressources échappent au contrôle du ministère des Finances. On ignore quelle est la part des militaires dans l’économie, mais ils tiennent de nombreuses entreprises allant de l’élevage de volailles au BTP. L’armée aura les mains d’autant plus libres que le pouvoir militaire a «rétabli dans leurs fonctions des islamistes» du régime Béchir, écartés sous le gouvernement civil limogé par le putsch, assure Kholood Khair.
«Pas confiance»
La rue, elle, veut la justice pour les 114 morts et les milliers de blessés de la répression du mouvement pro-démocratie, selon des médecins. Or, décrypte Kholood Khair, le général Burhane «n’évoque pas la question de la responsabilité juridique ou financière» pour les victimes de la répression.
«Burhane doit remettre à la justice tous ceux qui ont tué (des manifestants) et il est le premier d’entre eux», affirme un manifestant à Khartoum qui veut conserver l’anonymat. Des centaines de manifestants sont restés dans la rue malgré des tentatives de dispersion des forces de l’ordre, ont rapporté des médecins prodémocratie.
«On ne fait pas confiance à (Burhane), on veut seulement qu’il parte une fois pour toutes», affirme de son côté à l’AFP Mohannad Othmane, juché sur l’une des barricades à Khartoum. Les capitales étrangères poussent depuis des mois civils et militaires à négocier un retour vers la transition démocratique, lancée en 2019 et interrompue par le putsch.
Le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres a dit espérer que l’annonce du général Burhane «crée une opportunité pour obtenir un accord», tout en appelant à «une enquête indépendante sur les violences», dans un communiqué publié mardi. Les États-Unis ont jugé qu’il était «trop tôt» pour en évaluer l’impact, le porte-parole du département d’État, Ned Price, exhortant toutes les parties à chercher un accord vers «un gouvernement dirigé par des civils» avec des «élections libres et régulières».