Cinéma«Mad Heidi»: fromage et hémoglobine sur vos écrans
Le mythe de Heidi est revisité dans un film suisse gore à voir en salle dès le 23 novembre et en ligne dès le 8 décembre.
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Oubliez Heidi de Johanna Spyri qui court au milieu des chèvres. Oubliez Heidi de la DRS qui fait innocemment dégouliner le lait le long de son cou. Oubliez encore Heidi de Hayao Miyazaki et ses joues rouges qui fait de la balançoire. Cette Heidi-là est une warrior, qui coupe en deux ses ennemis avec une hallebarde en forme d’edelweiss pour venger son Peter. Il y a du sang, de la torture par la fondue et bien pire à l’aide d’un Toblerone. Dit comme ça, ça peut faire peur. Mais on rigole beaucoup en regardant «Mad Heidi», premier film de swissploitation qui sort ce mercredi en salle.
Cela faisait longtemps qu’on attendait cette histoire de Suisse dystopique tombée sous le joug d’un magnat du fromage, où Heidi, la fille des montagnes, désormais guerrière courageuse, se promet de faire tomber les fascistes. On avait découvert un teaser très gore en 2019, puis une opération de crowdfunding et des produits dérivés bien barrés jusqu’au début du tournage, finalement, il y a plus d’un an.
«Mad Heidi», c’est un vrai film de genre, tourné en langue anglaise, comme on n’en fait pas par ici. Pas toujours très juste sur le jeu d’acteurs et le montage, et même s’il faut attendre la seconde moitié des 92 minutes pour prendre véritablement son pied à la vue des scènes sanglantes, ce long-métrage s’amuse de façon très originale des clichés suisses et est truffé de références qui raviront un public averti. Interview de l’un de ses deux réalisateurs, Sandro Klopfstein, et son producteur, Valentin Greutert.
D’où vient l’idée de faire un film gore sur Heidi?
Valentin Greutert: Johannes et Sandro, les deux réalisateurs, voulaient faire un film d’exploitation tourné en Suisse uniquement, il y a dix ans déjà. Quand ils sont venus me voir en 2017, Heidi n’était qu’un personnage secondaire de l’histoire. Pour moi, il était clair qu’elle devait en être l’héroïne. Le sang, le gore, l’horreur étaient là, c’est leur monde, ils ont grandi avec les films de genre.
Sandro Klopfstein: Effectivement, Johannes et moi travaillons ensemble depuis quinze ans, nous ne sommes jamais allés dans une école de cinéma, nous avons toujours tout fait par nous-mêmes. Sur le tournage de «Mad Heidi» aussi, nous étions les deux ensemble pour toutes les scènes, même si lui se concentrait davantage sur l’action et moi sur les dialogues. Nous avons la même vision, et l’équipe a rapidement compris ça.
Tout ce faux sang sur le tournage, c’était marrant?
S. K.: C’était moins marrant en vrai que ça l’est à l’écran. C’était plutôt difficile de faire ça correctement, alors que le soleil commence à se coucher, qu’on est pressé par le temps et qu’on a encore des scènes à tourner. Mais il y avait chaque jour quelque chose de bien, nous sommes allés dans des endroits magnifiques, dont l’amphithéâtre romain de Martigny. Là, c’était rude avec tous les figurants. Il y avait tant de choses à filmer.
Pourquoi votre choix s’est porté sur l’acteur américain Casper Van Dien, bien connu des fans de «Starship Troopers» (1997), pour jouer le président suisse?
S. K.: Pour ce rôle, nous voulions un acteur qui soit issu de films cultes, comme l’est «Starship Troopers», d’ailleurs. Nous pensions à un mélange entre Silvio Berlusconi et le colonel Kadhafi, une version jeune et jolie de ça. Le nom de Casper Van Dien est arrivé très vite. Nous avons contacté son agent et lui avons envoyé le scénario. Casper Van Dien a immédiatement adoré et a voulu en faire partie. Ce n’était pas compliqué. D’ailleurs, il ne l’était pas sur le tournage, il n’avait aucune demande spécifique, même s’il ne savait pas trop à quoi s’attendre en arrivant en Suisse.
Il y a beaucoup de références à des films de genre dans «Mad Heidi». Pouvez-vous en citer quelques-unes?
S. K.: Tout d’abord, j’aimerais dire que les références à «Starship Troopers» étaient dans le scénario avant de savoir que Casper Van Dien jouerait dans le film. Le public s’amusera à les découvrir, mais je peux vous citer «Robocop», «Faster, Pussycat! Kill! Kill!»… Dans la prison, les numéros sur les uniformes font tous référence à des films. Les noms ne sont pas choisis par hasard non plus. Nous avons mis dans «Mad Heidi» beaucoup de choses que nous aimons voir à l’écran.
«Johanna Spyri était une femme plutôt progressiste, donc je pense qu’elle adorerait le film»
La Suisse n’est pas un pays où on fait des films de genre, en général.
Valentin Greutert: Non, mais la Suisse est un pays de clichés très connus. J’ai été attiré par le fait qu’on puisse en jouer de manière grotesque. Au départ, on pensait faire un film pour 300 000 francs, mais quand on a commencé à travailler sur le scénario, il est devenu très vite clair que ça ne suffirait pas. L’apparition des plates-formes de streaming et la baisse d’affluence dans les salles forcent l’industrie du cinéma à s’adapter. Pour «Mad Heidi», nous avons développé un concept appelé fan-powered content creation. C’est-à-dire, chercher des fans, les faire participer au financement, au marketing, à la production, au tournage, à la distribution. Nous avons 538 investisseurs de 19 pays qui ont payé 2 millions de francs sur les 3,3 millions qu’a coûtés le film. On a réussi à vendre des produits dérivés dans 46 pays différents. C’est une fan base solide pour mettre en ligne «Mad Heidi» sur notre site (ndlr.: il sera disponible dès le 8 décembre sur madheidi.com).
Vous n’avez pas réussi à avoir d’aides publiques?
V. G.: L’Office fédéral de la Culture, Berne, Zurich ont tous dit non. Parce qu’ils n’étaient pas sûrs que les gens allaient comprendre que c’était de l’humour.
Quel accueil reçoit le film dans les festivals où vous l’avez présenté?
V. G.: Les gens adorent. Nous avons reçu deux Prix du public, un à Bruxelles et un à Trieste. En tout, nous participons à 21 festivals. C’est étonnant, pour nous. Je crois que c’est parce que c’est un style de films qui ne se fait pas trop. À l’étranger, «Mad Heidi» sera distribué en Espagne, en France, en Allemagne, en Autriche et probablement au Japon et en Italie.
Qu’aurait pensé Johanna Spyri, la créatrice de Heidi, du film «Mad Heidi»?
V. G.: C’était une femme plutôt progressiste, donc je pense qu’elle adorerait. (Rires.) Dans le livre, Heidi est un personnage qui a beaucoup d’énergie, qui veut la liberté. Dans le film, elle a gardé cet esprit.
Une suite pourrait voir le jour?
Sandro Klopfstein: Absolument, c’est ce que nous aimerions. «Mad Heidi» montre les origines de Heidi, comment la fille innocente des montagnes devient la guerrière dangereuse. La partie II porterait sur le duo Heidi-Clara. Mais tout dépend du succès de la partie I.