Commentaire: Electricité: la leçon amère du marché libre pour les gros

Comme chacun le sait peut-être, depuis le 1er janvier 2009, le marché suisse de l’électricité est partiellement libéralisé. Les gros clients, dont la consommation annuelle dépasse les 100 000 kWh par an et par site, peuvent choisir une offre sur le marché concurrentiel. À l’époque, cela devait permettre aux entreprises de faire jouer la concurrence et de bénéficier de prix bas pour «réaliser de substantielles économies», comme l’écrit Romande Énergie.

L’objectif des milieux libéraux à Berne a toujours été d’étendre cette libéralisation du marché aux petites entreprises et enfin aux ménages. Le Conseil fédéral l’a introduite dans sa dernière mouture de la révision de la loi fédérale sur l’approvisionnement en électricité. Celle-ci va passer prochainement devant les Chambres. On connaît les arguments: les petits clients finaux doivent pouvoir choisir leur fournisseur, faire jouer la concurrence et obtenir le prix moins cher… Il faut en finir avec les monopoles publics et, comme dit le Conseil fédéral: «L’ouverture complète du marché permettra l’émergence de modèles d’affaires novateurs». Sous-entendus, beaucoup de gens vont se montrer ensemble créatifs pour venir prendre un peu plus d’argent dans la poche des ménages. D’un monopole public, on passera à un monopole privé, un peu comme dans l’assurance-maladie.

Jusqu’ici toutes les tentatives d’ouvrir le marché jusqu’aux petits consommateurs ont échoué, en particulier en 2002 avec l’échec de loi sur le marché de l’électricité défendue par la droite et combattue par le conseiller national Pierre-Yves Maillard (PS/VD). Et heureusement, quand on voit la situation dans laquelle se retrouvent actuellement les gros consommateurs sur le «marché libre». Ils ont vu leurs coûts d’électricité décupler ces derniers mois au point de mettre en péril l’avenir de certains d’entre eux. Tandis que les ménages et les petites entreprises sont demeurés dans un marché régulé et leur facture n’augmentera qu’en janvier 2023 et certainement pas de dix fois.

Précisons qu’il y a 3,9 millions de clients finaux en Suisse et que seulement 30 000 ont accès au marché libre, soit moins de 1%. Depuis quelques semaines, les milieux de l’économie sont très inquiets de voir les charges dues à l’électricité prendre l’ascenseur pour ces 30 000 clients finaux. Le piquant de l’histoire aujourd’hui est que l’USAM réclame que ces entreprises puissent quitter le marché libre pour retrouver l’approvisionnement de base avec des prix réglementés par l’État. EconomieSuisse demande que le Conseil fédéral mette ne place des mesures pareilles à la période du Covid-19 pour soutenir les entreprises. Les faîtières paniquent.

Cette histoire a valeur de fable, car les tenants de la libéralisation n’ont de cesse de dire que dans un marché libre, la concurrence fait baisser les prix. Ils oublient qu’elle peut aussi les faire monter et d’une manière spectaculaire! Aujourd’hui, face à une baisse de l’offre d’électricité, les prix deviennent fous et intenables. Au vu de la situation actuelle, on doit être heureux que les tentatives de libéraliser le marché jusqu’aux ménages ont échoué jusqu’ici, sinon cela aurait eu des conséquences catastrophiques. C’est une leçon à prendre en compte pour la révision de la loi.