Face aux prix du gaz, les Européens gardent à l’œil leur thermostat

Publié

Crise énergétiqueFace aux prix du gaz, les Européens gardent à l’œil leur thermostat

En octobre, la consommation de gaz dans l’UE a chuté de 25% par rapport à 2019-2021. Mais le choix de la sobriété pourrait ne pas suffire au-delà de l’hiver.

Des millions d’Européens ont vu leur facture de chauffage exploser avec la fermeture des gazoducs russes vers le Vieux Continent. Ils ont dû apprendre à contrôler leur consommation énergétique.

Des millions d’Européens ont vu leur facture de chauffage exploser avec la fermeture des gazoducs russes vers le Vieux Continent. Ils ont dû apprendre à contrôler leur consommation énergétique.

AFP

Sofie de Rous est la première à le reconnaître: avant cette année, c’était un peu Versailles chez elle, une petite maison de la côte belge, souvent chauffée à 21 °C. Mais comme des millions d’Européens, cette communicante de 41 ans dans une agence d’architecture a vu sa facture monter en flèche à partir du printemps, avec la fermeture progressive des gazoducs russes vers l’Europe.

«J’ai un peu paniqué», raconte Sofie, propriétaire de sa maison mal isolée à Oostduinkerke (au bord de la mer du Nord), chauffée par une chaudière au gaz. Elle payait 120 euros par mois avant la guerre pour gaz et électricité: sa facture est passée à 330 euros. Aujourd’hui elle surveille sa consommation, chauffe à 18 °C, et se renseigne pour installer panneaux solaires et double vitrage…

De 20 à 300 euros le Mwh

Comme Sofie, une nouvelle génération de Belges, de Français ou d’Italiens a perdu en 2022 son insouciance énergétique et appris à surveiller ses radiateurs. Dans l’ancien monde, le gaz était abondant et pas cher. Son prix de référence sur le marché européen variait peu, autour de 20 euros le mégawattheure. Cette année, il est monté jusqu’à 300 avant de retomber vers 100 euros…

À cause des prix fous, des usines, dans la chimie allemande surtout, biberonnées au gaz de l’est depuis l’époque soviétique, ont dû s’arrêter. Pour autant les réserves européennes ont pu être remplies à ras bord l’été avec les derniers mètres cubes de gaz russe, et personne n’a subi de coupure.

Une baisse énorme

Quoi qu’il en soit, la baisse de consommation des ménages et des entreprises est exceptionnelle: de l’ordre de 25% en octobre par rapport à 2019-2021 dans l’Union européenne, calcule le think-tank Bruegel, à Bruxelles. La moitié des Allemands ont des chaudières au gaz, et leur baisse de consommation est «extrême, énorme», confirme Lion Hirth, professeur de politiques énergétiques à la Hertie School à Berlin. Il y voit la volonté de «ne pas payer Poutine», autant que de réduire les factures.

En quelques mois, la Russie a ainsi perdu son premier client gazier, l’Europe, dont les achats sont passés de 191 milliards de mètres cubes en 2019 à 90 milliards cette année. Il a fallu compenser par le gaz naturel liquéfié (GNL) produit aux États-Unis, au Qatar ou ailleurs, que l’UE délaissait autrefois puisqu’il était plus cher.

À défaut de pouvoir se payer du GNL, ils brûlent plus de charbon

L’Europe et l’Asie surenchérissent pour s’arracher des cargaisons de GNL. Avec un effet pervers: «L’Europe s’est mise à payer plus cher que l’Asie pour le gaz, et des pays comme l’Inde et le Pakistan n’ont pas pu rivaliser», souligne Graham Freedman, analyste chez Wood Mackenzie. Conséquence climatique: faute de GNL, ces pays moins riches brûlent plus de charbon.

Pour décharger le GNL des navires méthaniers, il faut des terminaux portuaires capables de le regazéifier et réinjecter dans les réseaux terrestres. L’Allemagne n’en avait aucun, la France et l’Espagne plusieurs. «On renvoie beaucoup plus de gaz vers la Suisse», qui réexpédie ensuite vers Italie et Allemagne, explique Guillaume Tuffigo, de GRTgaz, qui gère les gazoducs français.

Plus l’hiver sera froid, plus il faudra donc acheter de GNL à partir du printemps… et plus «le combat» entre Europe et Asie s’intensifiera, explique Laura Page, spécialiste du gaz chez Kpler. «Il n’y a pas assez de gaz dans le monde pour remplacer le gaz russe», abonde Graham Freedman. Ce n’est que vers 2025 ou 2026 que les nouveaux projets de GNL produiront des millions de tonnes supplémentaires. D’ici là, les Européens auront-ils appris à vivre à 18 °C?

(AFP)

Ton opinion

1 commentaire