Espèces menacéesUne décision «historique» a été prise pour protéger des requins
Au Panama, une conférence sur des espèces menacées a permis de réguler la pêche d’une cinquantaine d’espèces de squales, malgré les réserves de la délégation japonaise.
La Conférence sur le commerce international des espèces menacées, réunie à Panama, a pris, vendredi, une décision qualifiée d’«historique» par le pays hôte, visant à protéger une cinquantaine d’espèces de requins menacés par le florissant trafic de leurs ailerons en Asie. Au dernier jour de cette 19e Conférence de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées (CITES), les délégués de 183 États et de l’Union européenne (UE) ont décidé, en séance plénière, de réguler la pêche de 54 espèces de requins-requiem (Carcharhinidae) et de requins-marteaux (Sphynidae).
Ces squales ont été inscrits à l’Annexe II de la CITES, limitant strictement le commerce de certaines espèces par consensus, malgré les réserves émises par le Japon concernant la protection accordée au requin bleu, estimant qu’il ne s’agit pas d’une espèce menacée. Le délégué japonais a exprimé «la vive préoccupation» de son pays concernant les conséquences de cette décision, jugées «préjudiciables d’un point de vue social et économique» pour les pêcheurs de son pays.
La protection de ces requins, demandée par l’UE et une quinzaine de pays, dont le Panama, a été la plus discutée des décisions du sommet, qui a débuté le 14 novembre. Elle est devenue, au fil des débats, une mesure emblématique de la conférence et plusieurs délégations avaient posé sur leurs bureaux des requins en peluche.
Près de «90% du marché des ailerons de requins»
Shirley Binder, la déléguée du Panama, a fait valoir que les requins qui bénéficieront dorénavant de la protection de la CITES représentaient «approximativement 90% du marché» des ailerons de squales. Ce marché, dont le centre est à Hong Kong, dépasse le demi-milliard de dollars par an (473 millions de francs). Les ailerons peuvent se vendre 1000 dollars le kilo en Asie de l’Est, pour confectionner des soupes très réputées de la gastronomie chinoise traditionnelle.
Paré de mythiques vertus thérapeutiques et aphrodisiaques, autrefois réservées à l’empereur de Chine, puis à une élite, ce plat est devenu un marqueur de réussite sociale, incontournable dans les banquets et repas de fête.
Des raies aussi protégées
Les raies-guitares (Rhinobatidae) et des espèces de raies d’eau douce (Potamotrygon) vont également bénéficier de la protection de l’Annexe II, a décidé la CITES. Il s’agit d’espèces qui ne sont pas encore menacées d’extinction, mais pourraient le devenir si leur commerce n’était pas étroitement contrôlé. L’Annexe I, quant à elle, interdit totalement le commerce de certaines espèces.
«Ceci restera dans les mémoires comme le jour où nous avons inversé la tendance pour empêcher l’extinction des requins et des raies du monde», s’est félicitée l’ONG Wildlife Conservation Society (WCS). «Cette liste historique d’une centaine d’espèces fortement commercialisées conduira à l’adoption des mesures de conservation au niveau national, dont ces espèces ont urgemment besoin. La prochaine étape cruciale consistera à mettre en œuvre ces inscriptions et à veiller à ce qu’elles se traduisent par des mesures commerciales et de gestion des pêches plus solides dès que possible», avertit l’ONG.
Plus menacées que les éléphants
D’après le directeur pour l’Amérique latine et les Caraïbes de l’ONG IFAW, Joaquin de la Torre, «les requins et les raies sont aujourd’hui le groupe d’espèces les plus menacées, plus menacées même que les éléphants et les grands félins». «La demande internationale pour leurs ailerons et leur chair a provoqué une diminution significative de leurs populations dans le monde entier: on estime que plus de 100 millions de requins meurent chaque année dans les pêcheries, soit le double» du nombre des prélèvements permettant de préserver l’espèce, a-t-il dit.
Seule voix dissonante au sein des organisations de défense de l’environnement, l’ONG française Fondation Brigitte Bardot a dénoncé «une grand-messe qui a encore une fois démontré que la CITES n’est pas destinée à protéger les animaux sauvages, mais à orchestrer leur commerce international en tentant de réparer, avec quelques pansements, le désastre écologique qu’il cause».