TennisDominic Thiem, champion en totale perdition
Le double finaliste de Roland-Garros, éliminé d’entrée pour la septième fois depuis son retour, fin mars, ne voit pas le bout du tunnel. «Ma nervosité est toxique pour mon coup droit», admet-il.
- par
- Jérémy Santallo Paris
Deux mois se sont écoulés. Mais de Marbella à Paris, rien n’a changé pour Dominic Thiem. Ou si peu. Sous un arbre, perché au-dessus d’un des terrains du Puente Romano Tennis club andalou, à la fin mars, on pouvait déjà voir ces cheveux en pétard et ce regard hagard, à travers le grillage, à pester contre ce coup droit qui ne partira peut-être plus jamais comme avant. Comme au sud de l’Espagne, où il faisait lui aussi son grand retour à la compétition, Stan Wawrinka se trouvait encore de l’autre côté du filet, vendredi, lors d’un entraînement à Roland-Garros. Il fallait voir l’Autrichien se parler à lui-même pendant que son coach, Nicolas Massu, semblait soucieux. Inutile de vous dire que la journée de dimanche n’a pas dû le rassurer…
Infinie tristesse
Il y avait quelque chose de terrible, mais surtout d’une infinie tristesse, à observer un champion de sa trempe errer comme une âme en peine, sur une brique pilée où il a tant brillé dans un passé récent – double finaliste en 2018 et 2019, seulement vaincu par Rafael Nadal. La tête embuée comme le ciel parisien, Thiem a passé les deux heures de sa rencontre face au méthodique joueur bolivien Hugo Dellien, bougrement efficace lorsqu’il s’agit de construire l’échange (6-3 6-2 6-4), à baisser la tête, les yeux vissés sur le sol. Poussé par les chants à son nom des spectateurs du bucolique court Simone Mathieu, il ne s’est pourtant jamais laissé porter. Comme si, son tennis d’antan envolé, le cœur n’y était plus vraiment.
Depuis qu’il a matérialisé ses ambitions à Flushing Meadows, le champion de l’US Open 2020 a vu s’envoler sa motivation, devenant l’ombre du «Dominator» – surnom qui lui avait été donné en référence à son compatriote Thomas Muster (Musterminator), lauréat de Roland-Garros en 1995. «Je me retrouve un peu dans ce qu’il traverse puisque j’ai moi-même connu ce vide après deux de mes sept victoires en Grand Chelem, expliquait Mats Wilander, pour Eurosport, il y a douze mois. Vous avez prouvé quelque chose. Et je ne peux pas imaginer ce que c’est de remporter son premier grand titre à 26 ou 27 ans (ndlr: lui a gagné le premier à 17 ans). Dominic a attendu tellement longtemps.»
Les deux sont intimement liés et après la tête, c’est le corps de l’Autrichien qui a flanché. Absent du circuit à partir de juin dernier en raison d’une blessure au poignet droit plus longue que prévue – son ancien préparateur l’aurait ensuite fait reprendre la raquette trop tôt –, Thiem court désormais après le temps perdu. Contrairement à Stan Wawrinka, qui a ciblé certains tournois et conjugué cela avec des blocs d’entraînements, l’Autrichien a décidé de courir les événements, persuadé que son retour au plus haut niveau ne peut que passer par un maximum de parties. Depuis Marbella, il les a toutes perdues (ndlr: sept), sans jamais avoir eu voix au chapitre – il n’a remporté qu’un seul set à Belgrade contre Millman.
«Les premiers matches après une longue absence ont une très grande valeur, expliquait Rafael Nadal, au sortir de son retour victorieux à Madrid, lui qui revenait à la compétition après s’être fêlé une côte à la fin de la tournée américaine. Les gagner vous permet de retrouver le rythme. En perdre trop à la suite vous installe dans un cycle négatif.» Thiem est en plein dedans, plongé dans le tourbillon de la défaite. Pour tenter de faire remonter un capital confiance largement entamé, il va repartir au charbon dans la catégorie Challenger. «J’y pense vraiment, pour un ou deux tournois, a-t-il avoué. Bien sûr qu’une victoire m’aiderait beaucoup mais si je suis honnête avec moi-même, j’en suis toujours loin.»
Les yeux dans le vague devant les journalistes, l’ex-No 3 mondial, aujourd’hui plus très loin de sortir du top 200, l’a concédé: plus grand-chose ne va: «Il n’y a pas assez de force dans mes frappes et pas seulement en coup droit. Mon pourcentage de premières balles servies est trop bas et elles ne font pas mal. Mon revers, ça va, même s’il reste trop peu profond et rapide, a-t-il énuméré, avec justesse. Parfois, je prends également des décisions stupides à l’échange, à tenter l’amortie – comme celui qui a fini derrière la ligne de fond (!) pour concéder le break au début du 2e set – ou le coup gagnant long de ligne au mauvais moment. Ça va prendre un certain temps avant que les choses ne rentrent dans l’ordre.»
S’il affirme «n’avoir aucun problème physique» ou «n’avoir pas fait d’ajustement technique volontaire» dans sa prise de raquette en coup droit pour soulager son poignet, Thiem semble conscient que son plus grand chantier se situe dans sa boîte crânienne. «Si je vais faire appel à un coach mental ou un psychologue du sport? Je suis ouvert à tout. Mais je n’en ai jamais eu besoin parce que je ne me suis jamais retrouvé dans cette situation jusqu’ici, a-t-il noté. Je n’ai pas de problème mental avec mon coup droit, ni peur. Mon souci, c’est qu’il est plutôt décent à l’entraînement alors qu’en match, c’est très différent. À l’heure actuelle, ma nervosité est toxique pour mon coup droit.»