EnvironnementIl y a 50 ans, Greenpeace naissait d’une idée «dingue»
Au début des années 70, un groupe de Canadiens et d’Américains ayant quitté les États-Unis à cause de la guerre du Vietnam se lancent dans la défense de l’environnement. Greenpeace est née.
Complètement «dingue»! Quand elle entend ses parents et les autres fondateurs de Greenpeace parler d’envoyer un bateau pour stopper des essais nucléaires, Barbara Stowe n’en revient pas. Mais l’énergie de ces «visionnaires» contamine l’adolescente et son frère Robert.
«Mes parents Irving et Dorothy Stowe, Jim et Marie Bohlen, Bob Hunter, Ben Metcalfe, étaient des visionnaires. Ils étaient habités par l’idée assez folle qu’un individu seul ou un petit groupe d’individus peut changer le monde», raconte Robert Stowe à l’AFP.
«Ils avaient vraiment le sentiment qu’ils devaient prendre position, que ce soit efficace ou non», poursuit-il, décrivant son expérience «fascinante» de lycéen de 16 ans assistant aux réunions de ces militants dans sa maison familiale de Vancouver (ouest du Canada) au début des années 1970.
À l’époque, ce petit groupe de Canadiens et d’Américains ayant quitté les États-Unis à cause de la guerre du Vietnam s’oppose aux essais nucléaires américains sur l’îlot d’Amchitka, en Alaska. Ils veulent louer un bateau pour y aller.
«L’impossible peut être fait»
«Je suis la plus prudente de la famille, alors l’idée d’envoyer un bateau stopper un essai nucléaire! Ma première réaction était souvent «C’est complètement dingue». Et finalement j’ai vu que ça pouvait être fait», se rappelle Barbara Stowe, qui porte le T-shirt jaune d’origine à l’occasion de cet entretien en visio depuis la côte pacifique canadienne.
À ce moment-là, Greenpeace n’est pas encore Greenpeace, mais le comité Don’t make a wave. Mais à la fin d’une réunion, «Bill Darnell quittait la pièce et mon père a fait le signe de la paix. Bill a alors dit «make it a green peace» (faisons-en une paix écolo)», explique Robert.
«Green peace». Le nom reste dans la tête des militants qui l’adoptent, en deux mots. Mais sur les badges alors imprimés pour être vendus aux coins des rues de Vancouver, l’espace disparaît.
À la table du petit-déjeuner, chez les Stowe, les enfants s’offusquent «Papa, Greenpeace c’est pas un mot», lance Robert. Peine perdue. Reste à trouver l’argent pour affréter un bateau. «Mon père a eu l’idée d’un concert de rock», raconte Barbara.
«Encore une fois, j’ai pensé que c’était dingue. Mais quand il a eu Joni Mitchell, et collecté 17’000 dollars, j’ai commencé à penser que l’impossible peut être fait». Et le 15 septembre 1971, le Phyllis Cormack, rebaptisé Greenpeace pour l’occasion, prend la mer.
Non-violence
Le bateau est intercepté par la marine américaine avant même d’approcher le site d’essai. Mais la médiatisation est là. C’est la première «mindbomb» («bombe psychologique») de l’organisation qui utilise toujours aujourd’hui actions coup de poing et images fortes pour faire passer ses messages.
Des messages qui ont évolué. La lutte contre le nucléaire est toujours là, mais le combat contre le changement climatique est venu s’ajouter aux priorités.
Avec toujours les «principes Qaker» qui ont inspiré les fondateurs de l’ONG, assure Robert Stowe. «Si vous avez une conviction profonde que quelque chose est mauvais et doit être arrêté ou modifié, et que vous parlez du fond du coeur, les gens vous écouteront».
«Le pacifisme est une discipline»
Fidèles à ces convictions, les deux enfants Stowe ont suivi en partie les pas de leurs parents, «peut-être pas aussi intensément» que dans leur adolescence, revenant régulièrement militer aux côtés de Greenpeace ou d’autres organisations. En 2018, ils étaient même arrêtés tous les deux - une première - pour s’être attachés à une clôture sur le site d’un projet de construction d’un pipeline en Colombie britannique.
Aujourd’hui, les deux militants historiques sont ravis et admiratifs de voir les plus jeunes prendre le relais, des adolescents mobilisés pour le climat aux membres de Greenpeace qui prennent le risque de se retrouver en prison en Russie ou en Chine.
Ce qu’ils ne supportent pas en revanche, c’est le recours à la violence. «Le pacifisme est une discipline et à la minute où vous utilisez la violence, cela se retourne contre vous», plaide Barbara. Preuve en est, le sabotage par les services secrets français du Rainbow Warrior coulé dans le port d’Auckland en 1985, estime-t-elle. L’opération meurtrière qui crée un scandale international «a donné à Greenpeace le plus gros coup de pouce de son histoire».
Version originale publiée sur 20 min.ch