FootballLe premier chantier de Murat Yakin est sans ballon
Entre bloc densifié dans l’axe et activité à la perte de balle, le nouveau sélectionneur commence son ère en mettant l’accent sur les principes défensifs. Analyse.
- par
- Valentin Schnorhk Bâle
Dans la formation des entraîneurs, on appelle ça un exercice sous forme de «vagues». En clair, pendant plusieurs actions successives, une équipe ne fait – par exemple – que défendre. Lorsqu’elle récupère la balle, le jeu s’arrête et recommence sous la même forme. Pour travailler tactiquement, c’est un mode qui est privilégié, à presque tous les niveaux. Jusqu’en équipe de Suisse, avec Murat Yakin à sa tête.
Jeudi après-midi, l’équipe nationale s’entraînait devant son maigre public (une cinquantaine de personnes, à tout casser, au FCB Campus). Si tous ceux qui avaient joué plus d’une mi-temps contre la Grèce avaient été laissés à l’hôtel, c’était l’occasion pour les autres de continuer l’apprentissage de la méthode Yakin. Nico Elvedi et Manuel Akanji ont donc passé un bon quart d’heure à ne faire que protéger leur but, au cœur d’une animation défensive avec une ligne de quatre. L’objectif de la séance: fermer l’axe en zone 1 et être agressif sur le porteur du ballon.
C’est une bonne manière de saisir la philosophie de Murat Yakin, de comprendre la ligne qu’il a commencé à tracer. Celle de l’assise défensive. «Il veut absolument que l’on ferme le centre du terrain, que l’on soit très actifs dans cette zone», a expliqué Michel Aebischer. C’est en effet ce que la première sortie de l’équipe nationale version Yakin a révélé. Une volonté, à chacune des deux mi-temps, de densifier l’axe du terrain. Avec deux systèmes (un 3-5-2, puis un 4-1-4-1) qui avaient pour point commun leur milieu à trois.
Le souci de la densité axiale
Murat Yakin ne réinvente pas le football. Mais il met ses principes défensifs à l’honneur. Qu’importe la hauteur de son bloc, son idée est assez claire: quand l’adversaire est en possession du ballon, il est du devoir de son équipe d’empêcher l’accès à l’intérieur du jeu. Avec pour objectif de déporter l’opposition sur les côtés, de façon à utiliser la ligne de touche comme alliée pour récupérer la balle.
Cette idée se nourrit de deux sous-principes: la densité (notamment en termes de nombre, avec ces trois milieux, mais également une certaine compacité) et l’agressivité. Il convient de sortir sur le porteur de balle lorsque celui-ci est face au jeu. Aussi, l’orientation défensive doit permettre de fermer les lignes de passes vers l’axe. Cela suggère une certaine activité: être capable de conserver de la compacité, même quand les séquences sans le ballon se prolongent. Et aussi de réagir aux signaux, en suivant le mouvement du ballon. Une passe en retrait doit appeler la remontée du bloc-équipe, alors qu’une passe reçue par un adversaire dans de mauvaises conditions (qualité de la passe ou contrôle dos au jeu) suggère que l’on peut être agressif sans risquer de se faire éliminer.
Le point d’équilibre de Murat Yakin n’est pas très haut. Il est du moins plus bas que celui de Vladimir Petkovic, qui n’hésitait pas à aller chercher certains adversaires avec un bloc très avancé dans la moitié de terrain adverse. Yakin mise plus sur l’attentisme, une forme de bloc médian, qui peut toutefois gagner des mètres sur des séquences bien précises (lorsqu’il y a un réel avantage à en tirer).
Cela signifie aussi que la Suisse accepte parfois de reculer. Reste qu’elle a déjà montré par le passé qu’elle peinait à être active lorsqu’elle subissait trop le jeu. Il y a là une contrainte systémique: les systèmes à trois ou cinq derrière suggèrent de l’activité sur les côtés pour parvenir à faire reculer l’adversaire. Or, lorsque celui-ci parvient à tourner autour d’un bloc bas, il finit par se désunir. Cela s’est ressenti sur le deuxième quart du match contre la Suisse, lorsqu’elle a encaissé le 1-1. Une manière pour Yakin de justifier le choix de la défense à 4?
Pressing à la perte et défense préventive
Le travail que Murat Yakin doit accomplir pour amener l’ensemble de ses idées prendra par essence un certain temps. Les «détails» qu’il affirme vouloir corriger ne se verront pas tous tout de suite. Du moins dans leur exécution précise. En revanche, ils peuvent se signaler par un changement de comportement. Ce dernier est particulièrement prégnant sur les phases de transition. Et notamment à la perte de balle.
Sous Petkovic, il s’agissait là d’un des défauts les plus notables. Le pressing à la perte et les transitions défensives tendaient à être négligés (en particulier lors de la défaite 3-0 contre l’Italie). Les retours des internationaux depuis le début de la semaine soulignent une préoccupation de Yakin sur ces phases de jeu-là. Cela a déjà pu se ressentir contre la Grèce.
La gestion des transitions défensives se travaille en amont. Autrement dit, il est plus facile de récupérer rapidement le ballon lorsque l’équipe qui possède la balle est structurée de manière à être bien placée en cas de perte. C’est la Restverteidung – défense préventive en français. Il s’agit là également d’un principe souhaité par Yakin. Il suggère donc de ne pas se lancer à l’abordage et de se déséquilibrer complètement lorsque l’on construit une action. Et au contraire d’être proche de son adversaire direct.
La défense préventive représente une marge de progression pour Yakin. Elle s’inscrit pleinement dans son projet assurément plus conservateur que celui dont il a hérité. Mais face à une Italie championne d’Europe en titre, la prudence est probablement légitime.