MarocLe scandale «sexe contre bonnes notes» éclabousse les universités
Plusieurs cas de harcèlement sexuel impliquant des professeurs ont récemment été révélés, notamment sur les réseaux sociaux, permettant de prendre conscience de l’ampleur du phénomène.
Sous le slogan choc «sexe contre bonnes notes», des étudiantes brisent, sur internet et maintenant en justice, l’omerta autour du chantage sexuel en milieu universitaire au Maroc, où les appels se multiplient pour protéger davantage les victimes de harcèlement. «J’ai été renvoyée de la faculté, il y a un an, sous prétexte que j’aurais triché lors d’un examen, alors qu’en réalité j’avais juste refusé de céder au chantage sexuel d’un de mes professeurs», raconte à l’AFP Nadia, étudiante en droit à l’Université Hassan Ier de Settat, dans la région de Casablanca.
«Mon affaire n’était pas un cas isolé, d’autres filles ont subi des choses similaires, mais personne n’a voulu nous écouter», se remémore la jeune fille de 24 ans, qui n’a pas voulu donner son nom de famille. Son université est aujourd’hui éclaboussée par un scandale impliquant cinq professeurs: l’un d’eux a été condamné le 12 janvier à deux ans de prison ferme, le procès des quatre autres se poursuit avec une nouvelle audience lundi.
Ces procès sont inédits dans le royaume: des cas de harcèlement sexuel dans l’enseignement supérieur avaient été médiatisés ces dernières années au Maroc mais souvent sans que des plaintes ne soient déposées. Certaines étaient restées sans suites. Oser dénoncer son agresseur est une démarche assez rare dans une société conservatrice qui pousse le plus souvent les victimes de violences sexuelles à se taire.
«Vague de témoignages»
Les réseaux sociaux ont changé la donne: dans le cas de Nadia et d’autres victimes, la publication à grande échelle de captures d’écran présentées comme des échanges où des professeurs exigent des faveurs sexuelles contre des bonnes notes a permis de prendre conscience de l’ampleur du phénomène. «Je n’avais pas pensé porter plainte mais, après l’éclatement du scandale, je me suis constituée partie civile. Mon geste est aussi une manière d’encourager d’autres victimes à dénoncer ces agissements», souligne Nadia, qui a pu réintégrer sa faculté.
Une diffusion de la parole des victimes que l’on doit notamment à la page féministe «7achak» - expression en dialecte pour s’excuser de parler d’un sujet tabou ou vulgaire. La page a lancé fin décembre un appel à témoignages sur Instagram, grâce auquel deux nouveaux scandales universitaires ont été révélés. «A peine l’appel lancé, nous avons reçu une vague de témoignages, et ceux accompagnés de preuves ont été publiés», raconte à l’AFP Sarah Benmoussa, fondatrice de cette page qui veut «briser les tabous autour de la femme marocaine».
«Je m’adresse à vous pour stopper le harcèlement sexuel et les actes pourris et inacceptables d’un monstre sous le visage d’un enseignant», a écrit une ancienne étudiante de l’école de commerce ENCG à Oujda, sur la page Instagram «ENCG land». D’autres accusations se sont égrenées sur les réseaux contre le même professeur. Il a fini par être suspendu tandis que plusieurs responsables de l’école, jugés «complices», ont été limogés, a annoncé fin décembre le ministère de l’Enseignement supérieur.
«Tolérance zéro»
A Tanger, un enseignant d’une école de traduction a été écroué début janvier et poursuivi pour harcèlement sexuel, a indiqué à l’AFP l’avocate de la partie civile, Aicha Guellaa. Par ailleurs, Me Guellaa a alerté sur «près de 70 plaintes déposées à l’université de Tetouan sans que l’administration ne réagisse» et appelé le parquet à enquêter.
Ces scandales à répétition ont suscité une grande indignation sur les réseaux sociaux, la presse locale et les ONG y sont attentives. La politique de la «tolérance zéro» sera adoptée face au harcèlement sexuel, a promis le ministre de l’Enseignement supérieur Abdelatif Miraoui. Depuis, plusieurs universités ont lancé des numéros gratuits d’aide aux victimes et constitué des cellules de veille. «Il est impératif d’accompagner les victimes et de leur faciliter l’accès à la justice», estime la militante Karima Nadir du célèbre collectif des «Hors la loi». «Les lois existent mais rares sont celles qui en bénéficient.»
En 2018, après des années de vifs débats, une législation est entrée en vigueur, rendant, pour la première fois, passibles de peines de prison des actes «considérés comme des formes de harcèlement, d’agression, d’exploitation sexuelle ou de mauvais traitement». Un texte jugé encore «insuffisant» par les féministes marocaines.