Application - Plus besoin d’être invité pour venir causer le bout de gras sur Clubhouse

Publié

ApplicationPlus besoin d’être invité pour venir causer le bout de gras sur Clubhouse

Jusqu’ici hyper sélective, l’application de conversation vocale est désormais en libre accès. Une nouvelle ère pour ce réseau social novateur?

Christophe Pinol
par
Christophe Pinol
«Les gens y utilisent leur vrai nom, ici» indique l’application au moment de l’inscription. Un argument qui est censé offrir des conversations plus mesurées que sur d’autres plateformes qui proposent l’anonymat.

«Les gens y utilisent leur vrai nom, ici» indique l’application au moment de l’inscription. Un argument qui est censé offrir des conversations plus mesurées que sur d’autres plateformes qui proposent l’anonymat.

DR

L’an passé, l’application Clubhouse avait fait sensation, devenant vite la nouvelle coqueluche du berceau de la Tech. Lancé en mars 2020, en pleine pandémie, ce nouveau réseau social avait séduit avec son format novateur. Pas de texte ici, pas de vidéo ou de photo. Simplement de l’audio. Des voix plus précisément, puisqu’on y parle, on y discute, on échange sur des sujets aussi divers que variés, du plus anodin au plus pointu. Le tout en compagnie d’anonymes de toutes sortes, d’experts ou de célébrités. L’acteur Jared Leto, la présentatrice Oprah Winfrey, le fondateur de Tesla Elon Musk ou le rappeur Drake en sont déjà des habitués.

D’abord privilégiée par les investisseurs californiens, startupers et autres entrepreneurs de la tech, elle avait très vite essaimé à travers la planète, jusqu’à totaliser plus de 13 millions de téléchargements en mars dernier, uniquement sur IOS. En avril, elle bouclait même sa troisième levée de fonds, poussant ainsi sa valorisation à plus de 4 milliards de dollars. Et depuis le mois de mai dernier, date de son arrivée sur Android, 10 autres millions d’utilisateurs ont rejoint la plateforme.

Aujourd’hui, la nouveauté, c’est que l’application est enfin sortie de sa période de test – la fameuse version «bêta» – et que depuis la semaine passée on n’a plus besoin d’être parrainé par quelqu’un pour y accéder. On y entre désormais par la grande porte, sans devoir attendre une invitation, en donnant toutefois son numéro de téléphone et en acceptant – ou non – de partager la liste de ses contacts.

Elon Musk attire la foule

Alors comment tout ça fonctionne? Les membres inscrits peuvent soit lancer une conversation sous la forme de «tables rondes» audio, sur le sujet de leur choix, soit en rejoindre une autre déjà entamée, et à ce moment-là se contenter d’écouter ou prendre la parole en cliquant sur le bouton «lever la main» afin d’attirer l’attention du modérateur pour être appelé à «monter sur scène».

Sur l’application, à l’intérieur de chaque «room», s’affiche la photo de tous les utilisateurs présents. En premier lieu, ceux ayant droits à la parole (leur profil est cerclé de vert lorsqu’ils s’expriment), suivis par ceux qui se contentent d’écouter. Et lorsqu’une star comme Elon Musk participe à une discussion, ce sont 5000 personnes (la capacité maximum d’une «room») qui s’y retrouvent agglutinés.

«Je trouve l’application bien conçue et l’écosystème se paramètre aisément suivant nos centres d’intérêt. Quant aux discussions, elles ont été très animées et m’ont permis de renforcer mon réseau lié à l’innovation suisse.»

Nicolas Bideau, patron de Présence Suisse.

On y choisit des «tags» correspondant à nos centres d’intérêt parmi une longue liste et l’application se charge alors de nous suggérer les rendez-vous du jour susceptibles de nous intéresser. On pourra alors s’y inscrire, en prendre un au vol ou même demander l’envoi d’une notification quand une personne que l’on suit vient traîner ses guêtres dans le coin. Alors bien sûr, la plupart de ces discussions sont en anglais. Mais on en trouve aussi en français.

«Comment créer ton business sans argent?» «Comment réussir sur les réseaux sociaux?» «Bitcoin: les aspects techniques», «Quel est votre film préféré?» figuraient à la liste du jour au moment de notre rédaction. Des conférences très orientées «business», donc, mais libre à vous de lancer le sujet qui vous plaira. À noter qu’il est impossible d’y enregistrer une conversation, et donc d’en suivre une en rediffusion. L’application mise à fond sur la notion d’immédiateté et le syndrome FOMO («Fear Of Missing Out»), soit la peur de rater quelque chose.

Experts suisses invités

«J’y ai été invité comme orateur sur une room consacrée à la Swiss Tech, nous explique Nicolas Bideau, patron de Présence Suisse. Je trouve l’application bien conçue et l’écosystème se paramètre aisément suivant nos centres d’intérêt. Quant aux discussions, elles ont été très animées et m’ont permis de renforcer mon réseau lié à l’innovation suisse».

Du coup, l’homme responsable de l’image de notre pays à l’étranger songe maintenant à utiliser la plateforme pour de grands événements, comme l’Expo universelle de Dubaï, qui ouvre ses portes le 1er octobre prochain. «L’idée serait de développer pour le pavillon suisse une stratégie d’influence, continue-t-il, en proposant par exemple aux utilisateurs qui sont administrateurs des clubs les plus suivis de parler de nos sujets».

«L’idée serait de développer pour le pavillon suisse une stratégie d’influence, en proposant par exemple aux utilisateurs qui sont administrateurs des clubs les plus suivis de parler de nos sujets.»

Nicolas Bideau, patron de Présence Suisse.

Reflet de sa popularité croissante, il se créerait désormais plus de 500’000 conversations chaque jour, soulignaient il y a quelques jours les concepteurs de la plateforme, deux Américains réputés de la Silicon Valley: Paul Davison, également papa de l’application sociale Highlight, et Rohan Seth, un ingénieur de chez Google. Reste à voir combien des 25 ou 30 millions d’inscrits aujourd’hui sont réellement actifs. De tous nos contacts présents sur Clubhouse, la plupart s’y étaient inscrits uniquement par curiosité, après avoir reçu une invitation, et n’avaient en réalité jamais pris le temps de voir comment l’application fonctionnait.

Pas tous convaincus

Celle-ci ne fait d’ailleurs pas que des heureux. Le Morgien Noam Yaron, créateur de contenu (qui s’est récemment illustré avec son record de la traversée du lac Léman dans sa longueur), ne s’y est pas senti à l’aise. «J’aime le concept – privilégier ces échanges longs, avec la possibilité, en théorie, de se retrouver à discuter avec Barack Obama –, mais j’ai trouvé l’expérience utilisateur fastidieuse, avec une interface sommaire, peu sexy et brouillonne».

«J’aime le concept – privilégier ces échanges longs, avec la possibilité, en théorie, de se retrouver à discuter avec Barack Obama –, mais j’ai trouvé l’expérience utilisateur fastidieuse, avec une interface sommaire, peu sexy et brouillonne.»

Noam Yaron, créateur de contenu et recordman de la traversée du lac Léman dans sa longueur.

De son côté, Sébastien Fanti, le préposé valaisan à la protection des données, voulait en profiter pour améliorer son anglais. Raté! «Je me suis retrouvé dans des conversations qui tenaient plus de la visioconférence mal préparée, avec des débats qui partaient dans tous les sens. Et puis j’ai trouvé que les gens manquaient d’humilité. On avait l’impression que tout le monde était là pour étaler son savoir. Alors que l’intérêt serait justement de partager ses connaissances. Imaginez une école comme Sciences Po qui mettrait tous les jours à disposition un professeur ou un assistant pour traiter une thématique en 15 minutes, avant de laisser les gens échanger… Ça, ce serait intéressant!»

«Je me suis retrouvé dans des conversations qui tenaient plus de la visioconférence mal préparée, avec des débats qui partaient dans tous les sens. Et puis j’ai trouvé que les gens manquaient d’humilité.»

Sébastien Fanti, le préposé valaisan à la protection des données.

Conversations harmonieuses

De ce qu’on a pu constater, Clubhouse a au moins un avantage sur les autres réseaux sociaux: des échanges calmes et posés, du moins pour l’instant. C’est un endroit où l’on s’invective peu, loin des ambiances souvent clivantes, voire incendiaires, auxquelles on peut être confronté sur Facebook ou Twitter. Peut-être parce qu’on est censé y apparaître sous son véritable patronyme («Les gens y utilisent leur vrai nom, ici», nous prévient l’application lors de la création de notre compte, même si aucune vérification n’est effectuée par la suite) ou bien parce que le fait d’y être en direct, sans filet, engage, plus qu’ailleurs, à mesurer ses propos. Et puis à l’époque du système par invitation, le comportement inapproprié d’un utilisateur pouvait aussi avoir un impact sur le profil de son parrain.

Les gens discutent sur Clubhouse avec leur véritable patronyme.

Les gens discutent sur Clubhouse avec leur véritable patronyme.

DR

Se pose d’ailleurs le problème de la modération des «rooms», plus difficile à gérer que pour un réseau social «classique». Impossible, ici, de se reposer sur des mots-clés ou des catégories de photos à bannir. Aux administrateurs de salons, le devoir de bloquer ou de rendre silencieux celui qui ferait état de propos déplacés. En cas de problème – des dérapages racistes ou misogynes ont bien entendu déjà été observés ici et là –, les conversations sont d’ailleurs conservées dans les serveurs de la société.

Le succès fait des émules

Une chose est sûre: l’audio social est aujourd’hui la nouvelle mode. Et Clubhouse va devoir montrer qu’il a les reins solides face aux émules que son succès a engendré. Facebook, Twitter, Discord ou encore Spotify se sont déjà emparés du format pour créer leurs propres espaces de discussion. Et Instagram, Telegram et LinkedIn planchent chacun sur des fonctions similaires.

«C’est clair qu’à partir du moment où un réseau social déjà établi, avec toute sa communauté et son savoir-faire en termes de fonctionnement, intègre ce système, continue Noam Yaron, ça devient séduisant. Ne serait-ce que pour éviter de multiplier les applications et devoir sans cesse passer de l’une à l’autre. Je trouverais par exemple très intéressant de retrouver ce type de «room» sur LinkedIn pour échanger sur des sujets divers, planifier des discussions…»

En attendant, Clubhouse évolue et se dote de nouvelles fonctionnalités, comme cette messagerie instantanée qui a fait son apparition il y a deux semaines. Baptisée «Backchannel», elle permet aux utilisateurs de discuter entre eux dans un chat textuel en parallèle des salons audio. On peut ainsi par exemple y partager des liens et l’on murmure qu’on devrait également bientôt pouvoir le faire avec des photos et des vidéos. La plateforme vient aussi de s’associer aux fameuses conférences TED Talk et proposera bientôt des conférences exclusives, uniquement en audio donc.

Ton opinion

2 commentaires