Amérique latineDes jeunes Salvadoriens réclament une vie digne pour ne pas émigrer
Alors qu’entre 200 et 300 jeunes quittent leur pays chaque jour en rêvant d’États-Unis, d’autres préfèrent rester au pays, pour y étudier et tenter de faire changer les mentalités.
Cristina Navas avait 10 ans lorsque son frère aîné, membre d’un gang, a été assassiné au Salvador. Malgré la violence et la pauvreté, elle refuse de quitter son pays, comme le font chaque année des milliers de jeunes qui tentent de gagner les États-Unis au péril de leur vie.
Aujourd’hui âgée de 22 ans, Cristina vit avec sa mère et sa sœur à Soyapango, une banlieue pauvre du nord-est de San Salvador, où les «pandillas» - gangs - font régner la terreur. Dans sa modeste maison de briques, elle raconte le choc que fut la perte de son frère, dont un portrait orne un mur du salon. Mais aussi ce qui l’a poussée à trouver une vie meilleure dans le petit pays d’Amérique centrale, rongé par la violence et la misère.
«À partir de ce moment-là, j’ai commencé à changer de mentalité», explique la jeune femme, qui affirme ne pas savoir qui a tué son frère Manuel, alors âgé de 14 ans. Dans le quartier où s’alignent des maisonnettes en dur, les rues étroites sont peu fréquentées. Il n’y a pas de policiers. Mais dans certains endroits, des membres des gangs rôdent. Tout le monde sait qu’ils sont là, à faire le guet.
Une caravane de migrants, à l’envers
Cristina est en licence d’anglais à l’université. Début octobre, elle a participé à une manifestation qui a réuni 2000 personnes non loin de la frontière avec le Guatemala, pour réclamer des emplois, un meilleur développement économique et social pour que les jeunes puissent rester dans leur pays. «Je reste au Salvador» était le mot d’ordre de cette manifestation baptisée «Caravane à l’envers», en référence à ces cohortes de milliers de migrants qui tentent régulièrement de gagner les États-Unis en traversant l’Amérique centrale à pied, malgré les dangers.
Sur la route, ils doivent payer des milliers de dollars à des passeurs et affronter toute une série de dangers: violences, enlèvements, viols et parfois meurtres. «Personne ne peut me garantir que je vais arriver là-bas saine et sauve, nous pouvons vivre ici», affirme Cristina. «Nous, les habitants des quartiers populaires, nous ne sommes pas tous des délinquants. Il y a des gens ici qui ont beaucoup de talents!»
Pousser les jeunes à étudier
L’étudiante fait partie d’un groupe de volontaires de la Fondation Forever, une ONG qui met en œuvre des partenariats entre le gouvernement, des entreprises privées et des associations pour aider les jeunes à terminer leurs études secondaires et à entrer à l’université.
Pour la fondation, Cristina donne une fois par semaine des cours d’anglais à des lycéens. Après la mort de son frère, sa mère a tenté d’émigrer légalement au Canada, en amenant ses deux filles. Mais l’asile leur a été refusé. «On n’aide pas les familles de membres de gangs, on ne les soutient pas», déplore Cristina. Grâce à la Fondation Forever, elle a obtenu, en 2017, une bourse, et il n’est plus question pour elle de partir.
Comme Cristina, Martha Morales, 22 ans, bénéficie du soutien de la Fondation et a participé à la manifestation de la «Caravane à l’envers». Elle aussi a obtenu une bourse et étudie en quatrième année de psychologie. Elle vit dans un autre quartier populaire de Soyapango, avec sa mère et son frère. Là aussi règnent les gangs. Mais elle non plus ne souhaite pas s’exiler. «Plusieurs personnes installées aux États-Unis m’ont dit: ‘Viens, ici il y a plus d’opportunités d’emploi, pas de délinquance’», raconte-t-elle. «Mon pari c’est de rester ici», lance la jeune femme, sûre d’elle.
«Une réalité cruelle»
Selon des organismes spécialisés sur la question migratoire, entre 200 et 300 jeunes Salvadoriens quittent chaque jour le pays de 6,7 millions d’habitants pour tenter de rejoindre, sans visa, les États-Unis. «L’émigration des jeunes est une réalité cruelle. Tant qu’on ne facilitera pas leur accès à l’université ou, mieux, à un emploi, cela va continuer», souligne le sociologue René Martinez.
En 2020, la Fondation Forever, en partenariat avec douze universités privées, a aidé un millier de jeunes Salvadoriens à faire des études.