Ski freeride Jérémie Heitz: «C’était logique d’aller voir plus loin et plus haut que les Alpes»

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Ski freerideJérémie Heitz: «C’était logique d’aller voir plus loin et plus haut»

Le freerideur valaisan et son compatriote Sam Anthamatten sont de retour dans un nouveau film, dans lequel ils dévalent des sommets de 6000 mètres d’altitude.

Sylvain Bolt
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Sylvain Bolt
Jérémie Heitz et Sam Anthamatten sont les acteurs d’un nouveau film où ils ont dévalé des sommets à 6000 mètres.

Jérémie Heitz et Sam Anthamatten sont les acteurs d’un nouveau film où ils ont dévalé des sommets à 6000 mètres.

L’un vient des Marécottes et est surnommé «freerider le plus rapide du monde». L’autre est un guide zermattois réputé. Tous les deux sont amoureux du ski de pente raide. Dans leur premier moyen métrage, «La liste» (diffusé en 2016), les freeriders valaisans Jérémie Heitz et Sam Anthamatten ont dévalé les quinze faces des Alpes à leur manière. Cet automne, ils sont les acteurs d’un second film, «La liste – tout ou rien», dans lequel les deux potes ont avalé des sommets de 6000 mètres d’altitude, à l’autre bout du monde.

Jérémie Heitz (à gauche) et Sam Anthamatten.

Jérémie Heitz (à gauche) et Sam Anthamatten.

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Le titre de la suite de votre liste s’intitule «tout ou rien». Pourquoi ce nouveau projet?

Jérémie Heitz: Le premier projet – «La liste» – est né très naturellement. Avec Sam (Anthamatten), on faisait de la compétition ensemble. Lui a déjà commencé à skier un peu plus haut que la norme. Après deux ou trois saisons de compétitions ensemble sur le Freeride World Tour, on a eu la même philosophie en termes de ski. On a voulu faire les quinze 4000 dans les Alpes, avec cette idée de liste. Et aussi de faire le lien avec les précurseurs du freeride, comme le Valaisan Sylvain Saudan, qui est présent dans nos deux films. On a beaucoup échangé avec lui. En fait, cela semblait logique d’aller voir plus loin et plus haut après avoir exploré les Alpes. Pourquoi ne pas se lancer sur des 6000 avec nos gros skis?

Se lancer sur des sommets de 6000 mètres, cest repousser encore un peu plus l’impossible?

Sam Anthamatten: On a choisi les 6’000 car ils sont situés entre les 4000 et les 8000. Souvent, il n’y a pas de bonne neige sur les 8’000 pour bien skier. On voulait partir plus loin, donc on a mis le cap sur l’Himalaya et le Pérou. Là-bas, c’est clairement la «Champions League» du ski et des pentes raides.

Quest-ce que cela change de skier à 6000 mètres?

Jérémie Heitz: C’est très difficile d’avoir le timing idéal et les bonnes conditions. Nous étions sur place un mois et demi maximum. Pendant cette période, on doit s’acclimater, approcher la montagne et être prêt à skier pendant la fenêtre météo idéale qui est très courte. Cela changeait déjà beaucoup des Alpes et de la maison, où l’on a davantage de marge de manœuvre pour anticiper. Il fallait un peu de chance aussi. Ensuite, les approches étaient beaucoup plus longues, il a fallu s’acclimater à l’altitude. Si on monte d’une traite à 6000 mètres, on n’est pas forcément en état de bien skier. On risquerait aussi le mal des montagnes. Il y a toute une logistique différente et c’est pour cela qu’on a voulu aller un peu plus loin. Voir comment on réagissait à plus de 6000 mètres et si c’était possible de skier à l’allure qu’on a dans les Alpes.

Sam Anthamatten: Là-haut, il y a un problème avec la neige, premièrement. Tout est plus compliqué, il y a plus de vent et il fait plus froid. Donc la neige est différente que celle des Alpes. Le manque d’oxygène est un autre souci: tu es plus lent en montée et tu as besoin de plus d’énergie pour te concentrer dans la descente.

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Avez-vous dû adapter votre matériel?

Jérémie Heitz: Nos skis sont assez lourds et les chaussures ne sont pas hyper légères non plus. Nous étions équipés de matériel pour grimper: des piolets et des crampons. Mais on a essayé de prendre le strict minimum. Par contre, nous étions plus équipés que les personnes qui skient là-bas, car il faut rappeler que nous ne sommes pas les premiers à dévaler la plupart de ces pentes. Des 8000 ont même déjà été skiés. Mais chaque fois, une optique différente a été prise. Nous, on voulait montrer du beau ski à la descente, donc on a opté pour des skis stables qu’on a l’habitude d’utiliser.

Comment avez-vous repéré ces sommets?

Sam Anthamatten: Nous avons regardé énormément de photos des montagnes dans des livres et sur nos ordinateurs. C’était une grande partie du projet.

Jérémie Heitz: Oui. Et on a utilisé Google Earth, mais quand tu arrives sur l’Himalaya, trouver un 6000, c’est un peu comme chercher une aiguille dans une botte de foin. Il y en a tellement qu’ils ne mettent pas de noms dessus (rires). Le potentiel est énorme. On a déjà repéré un peu les belles montagnes qui sont connues et celles qui étaient potentiellement skiables. Comme l’Artesonraju, qui est le logo du studio hollywoodien Paramount Pictures. Ce sommet situé dans les Andes péruviennes était mon premier 6000, cela restera un moment fort. C’est là que je me suis testé, que j’ai pu voir comment je réagissais en altitude. Il y a aussi eu Leila Peak, qui est très connue, car c’est une magnifique montagne située au Pakistan.

Le sommet Artesonraju, qui est le logo du studio hollywoodien Paramount Pictures, a été dévalé par les freeriders valaisans.

Le sommet Artesonraju, qui est le logo du studio hollywoodien Paramount Pictures, a été dévalé par les freeriders valaisans.

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Avez-vous dû renoncer à certaines faces?

Jérémie Heitz: Oui, d’autres sommets étaient prévus. Les conditions au Népal ne nous ont pas permis de skier certaines faces.. Il y a aussi eu la pandémie qui a modifié nos plans. Lors de la dernière expédition au Pakistan, on s’est concentrés sur un bassin, un lieu où on savait qu’on allait trouver de belles lignes. On est montés à Snow Lake, à environ 5000 mètres, où on a posé notre camp de base. Il y avait des 6000 quasi infinis. Et nous n’avions pas vraiment d’objectif clair.

Les dates de projection du film en Suisse

Comment réalise-t-on une face check sur ces sommets?

Sam Anthamatten: Après avoir vu des photos, il faut se rendre sur place pour analyser s’il est possible de skier la montagne. Il faut regarder les conditions et emmagasiner le plus de détails possible avec les jumelles. En s’approchant de la face, on essaie de récolter des informations supplémentaires. C’est vraiment un processus qui dure une à deux semaines avant de s’élancer. À la fin, tu as skié une ligne. Mais c’est énormément de travail en amont.

rémie Heitz: Oui, et parfois tout ce travail est fait sans qu’on ne puisse skier au final…

Donnez-nous le vertige. Quelle est l’inclinaison des pentes sur les sommets que vous avez skié?

Jérémie Heitz: Tout dépend des faces, mais on était autour des 50 degrés. Voire un peu plus si on prend celles que tu as faites au Pakistan… N’est-ce pas Sam?

Sam Anthamatten: Oui, tu es assez vite à 60 degrés parfois. Mais c’est difficile à dire, car on ne prend pas de mesure sur la montagne. On n’a pas le temps de faire cela.

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Avez-vous le temps de prendre du plaisir vu toutes les contraintes et leffort intense?

Jérémie Heitz: Clairement! On ne ferait pas ce genre de choses sinon.

Sam Anthamatten: Quand tu grimpes sur la montagne, tu réfléchis toujours au ski. Tu regardes tous ces petits détails. Il y a aussi énormément de concentration pendant la descente et le relâchement vient seulement en bas, quand tu as cette sensation d’avoir bien skié. Là, tu te sens fier. Et heureux.

Avez-vous déjà commencé à préparer votre troisième liste de sommets?

Jérémie Heitz: Il y a encore des montagnes bien plus hautes et on pourrait imaginer plein d’autres projets. Mais là, non, on est déjà super contents d’avoir terminé ce film. Quand on était à mi-parcours du projet, très honnêtement, ce n’était vraiment pas ce qu’on avait imaginé. On a eu plein de surprises. Et on n’a pas eu autant de chance que lors de notre premier projet dans les Alpes. Forcément, on cherche aussi à être très précis dans des conditions avec un laps de temps très serré. On s’est par exemple retrouvés projetés au Karakoram (Pakistan), où on a dû récolter énormément d’informations vitales très rapidement. Le but était de revenir des expéditions en ayant skié de belles lignes, mais surtout en étant sains et saufs. J’étais assez tendu quand on arrivait sur place. C’était un apprentissage accéléré, mais on était aussi bien entourés avec des guides et des locaux.

La moindre erreur peut s’avérer fatale. Comment gérez-vous cela?

Jérémie Heitz: Il a fallu «se mettre à 70%» quand on avait les skis sur certaines des lignes. Le principal, c’est vraiment d’éviter la chute, car l’hélico n’arrive pas là-bas. Et les seules personnes qui peuvent nous sauver… c’est nous-mêmes.

Sam Anthamatten: C’est clair, ce n’est pas comme en Suisse où tu appelles les secours et tu as un hélico quinze minutes plus tard. Là, on était vraiment loin dans les montagnes. Personne ne pouvait venir nous chercher.

Quel est le message que vous voulez transmettre avec ce film?

Jérémie Heitz: C’est toujours un peu le même, on est assez sensibles à l’évolution du ski, à ce que les personnes ont fait avant nous. On a voulu encore une fois montrer l’évolution du matériel et ce qu’il est possible de réaliser en mettant simplement deux bouts de planche sous nos pieds. Et il s’avère que c’est le moyen le plus efficace de voyager dans les montagnes. On peut aller à des vitesses folles, sauter des cailloux. Skier tout type de neige et tracer des kilomètres assez rapidement. C’est un sport assez fou et on veut transmettre cette passion.

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