TélévisionPhénomène: ces séries érotiques qui veulent faire monter la température
La vague coquine sur le petit écran fait des ravages. Après «Sex/Life» et «Un œil indiscret», Netflix accueille aujourd’hui «Obsession», tandis que «Minx» électrise la RTS.
- par
- Christophe Pinol
Fini les «Perverse Léa», «Liaisons à domicile» ou autres «Plaisirs défendus», ces téléfilms qui ont fait le bonheur des ados (et des autres) le dimanche soir sur M6 dans les années 90.
Depuis, #metoo est passé par là. Et si l’érotisme du petit écran d’antan – avec sa pauvreté visuelle et son sexisme affiché – se regardait du coin de l’œil, avec un certain mépris, le genre a pris du galon depuis que les femmes s’en sont emparées. Dans la plupart des cas, ce sont aujourd’hui elles qui conçoivent, scénarisent et/ou produisent séries et téléfilms. Et plus question que leurs héroïnes continuent à jouer les potiches. En termes de sexe, les protagonistes féminins décident dorénavant où, quand et comment. Sans mauvais jeu de mots, ce sont désormais elles qui prennent les choses en main, qui s’adonnent à leurs pulsions, jusqu’à inverser les rôles d’autrefois, en se servant cette fois des hommes comme de vulgaires objets… A la fin des années 90, «Sex and the City» avait bien sûr été précurseur en la matière mais c’était bien le seul.
Une spécialité Netflix
Aujourd’hui, c’est sur Netflix que l’on trouve la plupart de ces productions «olé-olé». A commencer par la nouvelle venue, «Obsession», disponible depuis jeudi dernier et directement entrée en deuxième position du classement des 10 séries les plus regardées du moment. Il y est question d’un chirurgien renommé, heureux père de famille, qui va s’éprendre de la nouvelle petite-amie de son fils. Tous deux vont alors entamer une passion torride. Mais attention, c’est madame qui fixe les règles! Dans «Sex/Life», l’une des séries «caliente» les plus populaires du moment, une mère de famille bien rangée, mariée à un homme trop sage, décide brusquement de laisser exprimer ses désirs lorsque ressurgit dans sa vie l’amant de sa jeunesse débridée. De son côté, «Un œil indiscret» met en scène une hackeuse, voyeuse à ses heures perdues puisqu’elle aime mater ses voisins de l’immeuble d’en face, et notamment une prostituée de luxe, mais qui se retrouve bientôt mêlée à une histoire de meurtre. Dans «Sex Education», c’est encore le personnage féminin qui décide de créer une cellule de thérapie sexuelle clandestine au sein de son lycée. Et «Bounding» nous montre comment une maîtresse SM s’amuse à fouetter des messieurs dans son donjon rose bonbon…
La sexologue Zoé Blanc-Scudéri, directrice du cabinet SexopraxiS à Lausanne, n’est pourtant pas totalement convaincue par ces séries. «Il y effectivement des éléments intéressants, comme lorsque «Sex/Life» montre par exemple une femme faire des avances à son homme, et qui part en fin de compte chercher son vibro pour se masturber, quand celui-ci décline, parce qu’il préfère regarder son match de foot à la télé. Je trouve bien de normaliser cet acte. Tout comme le fait que l’héroïne d’«Un œil indiscret» est épanouie dans sa sexualité, voyeuriste, seule et ose assouvir un fantasme très répandu chez les femmes, celui de se prostituer. Le problème, c’est qu’après 20 minutes, elle se retrouve à tomber amoureuse du premier mec qui lui fait l’amour et qu’elle a besoin d’un homme pour lui sauver la vie. Mais cette façon de démocratiser les fantasmes n’est pas nouvelle: souvenez-vous de «Sex and the City»».
Les attributs de ces messieurs
Ce que la série de Darren Star ne mettait guère en évidence, par contre, c’est la nudité frontale masculine. Autrement dit: le pénis! Un tabou que brise allégrement le feuilleton «Minx». Diffusé depuis le 26 mars sur RTS Un, celui-ci nous plonge dans la création d’un magazine de charme destiné à la gent féminine dans les années 70. Avec, là aussi, une femme pour personnage principal. Une militante féministe à la recherche d’un éditeur pour publier une revue engagée mais qui va devoir accepter, pour être éditée, de déguiser son projet en magazine coquin, avec un homme nu en poster central. Et dès le premier épisode, on a droit à un «casting» d’attributs masculins du plus bel effet: des gros, des minuscules, des épais, des de travers… le tout avec des chibres filmés en gros plan – au repos, qu’on se rassure. Une audace qui lui a valu le carré rouge pour la diffusion sur la chaîne nationale. «On aurait pu concevoir la scène sans nudité, expliquait à France Info Ellen Rapoport, la créatrice de la série, mais ça aurait été de la triche. La séquence n’est pas conçue pour émoustiller mais simplement pour retracer la journée de travail des personnages. C'est d’ailleurs exactement ce qui est arrivé à toute l’équipe en travaillant sur la série».
Dans le genre «finissons-en avec les tabous», la série «You» avait également fait fort, dans un épisode de sa 4e saison, en montrant assez crûment une scène de golden shower, autrement dit d’ondinisme, où quand deux personnes prennent plaisir à se faire pipi dessus. On a alors demandé à Zoé Blanc-Scudéri si l’on pouvait représenter à l’écran toutes les sexualités: «A partir du moment où il y a consentement, je trouve bien de montrer différentes pratiques. Ça prouve que plusieurs réalités existent et qu’à partir du moment où tout le monde est d’accord, c’est chouette. Là où c’est grave, c’est quand on voit un homme qui plaque une femme contre un casier et l’embrasse de force, comme c’est le cas dans pas mal de séries et de films, en faisant passer ça pour quelque chose de normal: sous prétexte que lui en a envie et que même si elle dit «non» au début, elle sera contente après coup. Parce que ça, c’est légitimer la violence. Et c’est inadmissible».
Attention aux dérapages
A ce propos, la trilogie «365 jours», toujours sur Netflix, avait fait grand bruit, en 2020, à l’occasion de la diffusion du premier volet, accusé de faire l’apologie du viol. On y voyait un mafioso kidnapper une femme et la séquestrer dans son château sicilien en lui donnant un an pour tomber amoureuse de lui. Ce film polonais, simple distribution Netflix, qui enchaînait à un rythme stakhanoviste les clichés sexistes et visions érotisées du viol, était pourtant coréalisé et coscénarisé par une femme, Barbara Bialowas, et adapté d’un bestseller lui aussi écrit par une femme, Blanka Lipinska.
«Le problème avec ces agressions sexuelles, c’est que la plupart du temps, on ne ressent pas l’effroi, la douleur et la peur vécues par les victimes. Parce que la mise en scène privilégie l’angle de l’excitation. Je me souviens par contre d’une scène de «Sex Education»: dans un car scolaire, on voyait un jeune homme se frotter contre fille et éjaculer sur son jean. Je l’ai trouvée très bien faite parce que la série montrait ensuite à quel point cette agression avait fait du mal à la jeune femme et tout le chemin qu’elle avait dû faire pour s’en remettre».
Déception à l’excitomètre
Reste que la promesse d’un érotisme chaud bouillant n’est souvent pas tenue avec ce type de programmes. «Sex/Life» et «Un œil indiscret» sombrent ainsi bien vite dans les clichés du «mommy porn» à deux sous: tous les protagonistes semblent sortir d’un casting de top-models, ils évoluent dans des penthouses, les scènes coquines sont non seulement répétitives mais surtout escamotées bien vites (il faut bien développer l’intrigue de la série!)… «Et puis en fin de compte, la sexualité abordée n’est pas si différente que ça des anciennes séries, renchérit notre sexologue… «Sex/Life» montre des actes très «male gaze» habituels. Dans Le 1er épisode, on est dans une boite de nuit: un beau mec rencontre une belle nana, je te soulève la jupe et c’est fini en 30 secondes. En résumé, ce ne sont pas des séries qui m’ont titillée. Une série qui donne envie, pour moi, permettrait aux téléspectateurs/rices de vivre par empathie ce que les personnages sont en train d’expérimenter sur le plan sexuel: la tension, la montée de l’excitation, le plaisir, et pour cela il faut du temps et des représentations plus diversifiées».
Preuve que le genre attire néanmoins les foules, Netflix continue sur sa lancée. Le géant du streaming a déjà annoncé «Fair Play» à son catalogue, un long métrage flirtant avec l’ambiance de «50 nuances de Grey». Présenté au dernier festival de Sundance, produit en dehors de l’escarcelle de la plateforme, on y retrouvera Phoebe Dynevor («La chronique des Bridgerton») et Alden Ehrenreich («Solo: A Star Wars Story»). Netflix a même signé un gros chèque pour l’acquérir: 20 millions de dollars.