MédecineGenève trouve un moyen de briser la résistance aux antibiotiques
Les bactéries sont de moins en moins affectées par les traitements. L’UNIGE a découvert qu’un médicament contre l’herpès rendait vulnérable la responsable de nombreuses infections.
- par
- Comm/M.P.
L’utilisation irraisonnée d’antibiotiques a poussé les bactéries à développer des mécanismes de résistance face à ce type de traitement. Ce phénomène, appelé antibiorésistance, est désormais considéré par l’OMS comme l’une des plus grandes menaces pour la santé. L’absence de traitements contre ces bactéries devenues multirésistantes pourrait en effet nous ramener à une époque où des millions de personnes mouraient de pneumonie ou de salmonelle.
La bactérie Klebsiella pneumoniae, très fréquente dans les hôpitaux, est l’un de ces pathogènes contre lesquels nos armes s’émoussent. Elle est à l’origine de nombreuses infections respiratoires, intestinales et urinaires. Du fait de sa résistance à la plupart des antibiotiques courants et de sa très grande virulence, certaines de ses souches peuvent être mortelles pour 40% à 50% des personnes infectées. Il est par conséquent urgent de développer de nouvelles molécules thérapeutiques pour la contrer.
«Depuis les années 1930, la médecine a tout misé sur les antibiotiques afin de nous débarrasser des bactéries pathogènes», explique Pierre Cosson, professeur au Département de physiologie cellulaire et métabolisme de la Faculté de médecine de l’Université de Genève (UNIGE), qui a dirigé l’étude parue dans la revue «PLOS ONE». «Mais d’autres approches sont possibles, et notamment tenter d’affaiblir le système de défense des bactéries pour qu’elles ne puissent plus échapper au système immunitaire. Cette piste semble d’autant plus prometteuse que la dangerosité de Klebsiella pneumoniae provient largement de sa capacité à esquiver les attaques des cellules immunitaires».
Test avec une amibe dévoreuse de bactéries
Pour déterminer si les bactéries étaient affaiblies ou non, les scientifiques ont utilisé un modèle expérimental aux caractéristiques étonnantes: l’amibe Dictyostelium. Cet organisme unicellulaire a en effet la particularité de se nourrir de bactéries en les capturant et en les ingérant. Des mécanismes que les cellules immunitaires utilisent également pour tuer les pathogènes. «Nous avons modifié génétiquement cette amibe afin qu’elle nous indique si les bactéries qu’elle rencontrait étaient virulentes ou non. Ce système très simple nous a ensuite permis de tester des milliers de molécules et d’identifier celles qui diminuaient la virulence bactérienne», détaille Pierre Cosson.
Développer un médicament est un processus long et coûteux, sans garantie de résultats. Les scientifiques de l’UNIGE ont donc opté pour une stratégie plus rapide et plus sûre: passer en revue des médicaments existants afin d’identifier d’éventuelles nouvelles indications thérapeutiques. L’équipe de recherche a ainsi évalué l’effet sur Klebsiella pneumoniae de centaines de composés déjà disponibles sur le marché, aux indications thérapeutiques les plus diverses. Un médicament développé pour lutter contre l’herpès, l’edoxudine, s’est révélé particulièrement prometteur.
Affaiblir la bactérie sans la tuer
En altérant la couche de surface qui protège la bactérie de son environnement extérieur, ce composé pharmacologique la rend vulnérable. Le système immunitaire de l’hôte infecté peut alors l’éliminer sans grande difficulté. «Contrairement à un antibiotique, l’edoxudine ne tue pas la bactérie, ce qui limite de fait le risque d’apparition de résistance, un atout majeur d’une telle stratégie anti-virulence», indique le chercheur.
Si l’efficacité d’un tel traitement chez l’être humain doit encore être confirmée, les résultats de cette étude sont encourageants: l’edoxudine agit en effet même sur les souches les plus virulentes de Klebsiella pneumoniae, et à des concentrations inférieures à celles prescrites pour traiter l’herpès. «Affaiblir suffisamment les bactéries sans les tuer, c’est une stratégie subtile mais qui pourrait s’avérer gagnante à court comme à long terme», conclut Pierre Cosson.