InterviewNicolas Fraissinet: «Ma différence nourrit mon imaginaire»
Un livre, un disque et maintenant un spectacle. Le projet «Des étoiles dans les yeux» de l’artiste franco-suisse existe enfin en un tout. Rencontre avec un artiste complet et attachant.
- par
- Laurent Flückiger
En 2019, Nicolas Fraissinet a publié son premier livre, «Des étoiles dans les yeux» (Éditions Belfond). En octobre 2021, il y a eu le disque du même nom, savant mélange de piano, d’electro et de cordes. Désormais, il y a le spectacle qui tourne enfin et sera le 14 mars prochain au Festival Voix de Fête, à Genève.
Ne vous méprenez pas: l’artiste franco-suisse n’abuse pas d’une idée jusqu’à plus soif. Il s’agit d’un projet entier et immersif, dont chaque partie est liée et le live sera sans doute la meilleure manière de s’en rendre compte. C’est, en effet, comme si Eliott, le héros du roman, était dans le public et qu’il assistait au concert dont il a raconté le déroulement dans les pages. Nicolas Fraissinet nous en dit plus.
Qu’est-ce qui vous met des étoiles dans les yeux?
De voir celle que je mets dans les yeux des autres quand j’arrive enfin à leur faire écouter de la musique en vrai. La scène, c’est la grande découverte de ma vie. J’ai commencé dans le cinéma, qui était une super manière de raconter mes histoires. Mais il y avait un différé entre le moment où on fait un film et le moment où on peut le voir.
Le disque «Des étoiles dans les yeux» est inspiré de votre roman du même nom, publié en 2019. Comment adapte-t-on un livre en musique?
Tout s’est fait en même temps. J’avais envie de créer un univers dans lequel les gens puissent se plonger en passant d’abord par le livre ou d’abord par le disque. Ou maintenant d’abord par le spectacle. L’ensemble commence enfin à exister, après un petit décalage avec la pandémie. Quand j’ai écrit le livre les musiques existaient déjà.
Sur certaines pages, il y a d’ailleurs des QR codes qui renvoient à des musiques.
L’idée, c’est d’avoir la bande originale du livre. Les musiques qu’on entend sont des versions instrumentales au piano des chansons du disque. Le personnage principal assiste à un spectacle – celui qu’on monte en ce moment – et, dans ses rêves, il parle de ce qu’il entend et qui sont donc des extraits de l’album et du livre. Et comme je suis joueur, j’ai caché des paroles dans des passages du roman.
Sans compter vos clips qui sont réalisés comme des films.
Encore une fois, c’est un ensemble. Il y a certaines images qui étaient dans ma tête avant que les chansons existent ou qui ont nourri le livre. Je suis multitâche. Une de mes grandes idoles est Chaplin, qui était à la fois dans la musique et dans le cinéma. J’ai beaucoup d’admiration pour ces gens qui ont une vision plus large qu’une seule discipline. Quand j’écris des chansons il y a toujours des histoires et des images qui me trottent dans la tête. J’ai grandi avec des musiques de films, celle des années 30 et celles des compositeurs comme Hans Zimmer, Danny Elfman, aux univers assez tranchés.
Si vos chansons sont toujours interprétées au piano elles ont souvent des rythmes électroniques.
Je me suis demandé si, sur une île déserte, face à une population qui ne me connaît pas, on ne me mettait à disposition que trois instruments lesquels je choisirais pour donner l’image la plus profonde de qui je suis. Il y a forcément le piano, parce que c’est ma deuxième voix. Et les sons électroniques: mes références musicales c’est Radiohead, Björk ou Daft Punk. Enfin, les cordes: dès qu’elles arrivent, comme dans les musiques de films, le rideau s’ouvre et le cinéma commence.
Comment ça se traduit sur scène?
Avec moi au piano et au sampler et trois musiciens: une violoniste, un bassiste-contrebassiste et un clavier-guitariste-programmateur.
Vous êtes malvoyant. Ce n’est pas trop embêtant pour jouer du piano?
Je n’ai jamais vécu mon histoire d’œil comme quelque chose d’embêtant. Je suis né avec un côté net et un côté impressionniste, on va dire. Et ça m’a plutôt aidé à assumer une différence: j’ai un gant noir sur la main gauche qu’on prend pour un effet de style mais c’est pour voir ma main sur le piano blanc. Je joue de travers, aussi. En amazone. Une posture que j'ai adoptée en découvrant celle de Tori Amors, qui chante avec le visage bloqué devant le micro et le corps sur le côté. Je me suis rendu compte qu’ainsi avec mon œil droit je pouvais aller chercher ma main gauche. Mon amblyopie m’a permis de trouver mon style et nourrit mon imaginaire. Je le vois plus comme une richesse. Toutes les différences sont des richesses.
Vous serez le 14 mars au Festival Voix de Fête à Genève, en compagnie d’Aliose. Quels sont vos rapports avec eux?
Ce sont des amis. On partage la scène depuis longtemps déjà. Je les aime beaucoup car ils font ce qu’ils disent. Chaque fois que je les ai appelés pour leur proposer une collaboration ou autres, le «oui» était suivi par du concret. Ce sont des gens de confiance. En plus du talent et de tout le reste.
Déjà de nouveaux projets pour l’année à venir?
Je vais enfin tourner avec le spectacle. Il est tout neuf, même s’il date de 2019. J’ai encore cinq clips à faire pour «Des étoiles dans les yeux». Pendant la période où on nous a interdit de monter sur scène, j’avais le choix de m’asseoir sur mon canapé en attendant que ça passe ou d’essayer d’être créatif avec mon projet. Je me suis lancé dans la réalisation de douze clips, un par chapitre et par chanson. Cinq sont déjà sortis, cinq sont en postproduction et deux sont encore à tourner.
Au final, les douze clips se regarderont en une fois comme un film?
Oui, mais ce n’est pas une histoire. D’ailleurs, j’ai fait exprès de ne pas les sortir dans l’ordre. À la fin, on pourra les regarder dans l’ordre. Ou pas. J’aime bien les projets immersifs mais pas ceux qui obligent quoi que ce soit.
Construirez-vous votre prochain projet comme celui-ci, avec un livre, un disque, un spectacle? C’est dense!
C’est dense, c’est prenant. J’aime bien les projets entiers et les faire à 300%. Cela ne me rendrait pas heureux de composer un disque en pensant à autre chose.