Ciné téléComment la Suisse est touchée par la chronologie des médias
Bien que franco-français, le nouvel accord qui lie l’industrie du cinéma aux diffuseurs ne sera pas sans conséquences pour les spectateurs romands.
- par
- Jean-Charles Canet
Un petit coup de tonnerre dans le paysage audiovisuel français a retenti lundi dernier. Un nouvel accord sur la chronologie des médias a été signé. Pour ceux qui l’ignorent, la chronologie des médias est un système légal contraignant mis en place en France pour déterminer quand un long métrage de cinéma distribué en salles peut être mis à disposition des spectateurs sur support physique (DVD, Blu-ray), en vidéo à la demande, sur les chaînes à péages, les chaînes de streaming, telles que Netflix et sur les chaînes gratuites, telles que France Télévisions ou TF1. L’objectif reste le même, assurer la survie de l’exploitation des films en salles.
Canal+, qui a tenté et réussi un coup de force (qui l’engage sur trois ans), est le grand vainqueur de la nouvelle donne puisque le groupe pourra insérer les films concernés dans son catalogue 6 mois après le début de son exploitation en salles. Pour le détail de l’accord, c’est ici. Grandes perdantes en théorie, les chaînes de télévision gratuites qui passent en queue de chronologie en restant à 22 mois.
En Suisse aussi?
La grande question est en quoi cette chronologie des médias qui est un outil franco-français (voire parisiano-parisien) à des conséquences pour les spectateurs romands. Un élément de réponse nous est fourni par Luc Guillet, chef de la programmation TV pour la RTS. «Au niveau légal, la Suisse romande n’est pas contrainte par cette loi. Nous sommes toutefois dépendant au niveau commercial.» Une façon de dire que, dans les grandes lignes, les diffuseurs suisses sont, d’une façon ou d’une autre, assujettis à la chronologie. Par effet de bord en quelque sorte. Statu quo, donc pour les chaînes gratuites alors que les chaînes sur abonnement, auparavant désavantagées, pourront désormais ouvrir les vannes plus tôt. Rappelons que Canal+, via sa filiale lausannoise, Netflix, Prime Video et Disney+ ont des plateformes actives en Suisse et les nouvelles venues, Netflix en particulier, seront en plus grande capacité de brûler la politesse aux chaînes sans murs payants.
«Dans l’ancienne chronologie, la RTS était déjà à 22 mois, les plateformes de streaming étaient derrière (36 mois). Canal+ était déjà devant. On arrivait tout de même à négocier des fenêtres plus avantageuses avec des distributeurs français ou suisses, ce qui faisait qu’on parvenait parfois à obtenir des droits 4 à 5 mois avant les chaînes gratuites françaises. Avec les nouvelles chronologies, je pense que les choses vont se jouer encore un peu plus au cas par cas. L’aspect commercial aura encore plus d’importance», détaille le cadre de la RTS.
Small is beautiful
«En théorie on est perdant, au même titre que les chaînes gratuites françaises, poursuit Luc Guillet. Cela dit, même si c’est encore trop tôt pour l’affirmer, il n’est pas certain qu’on le soit vraiment. La Suisse romande, c’est un petit marché comparé à la France, on passe un peu pour le Petit Poucet. On essaye autant que possible d’être un client sérieux, un partenaire fiable, qui respecte les conditions contractuelles à la lettre. Conséquence, on a créé des relations très fortes depuis de nombreuses années. Cela nous ouvre des opportunités. La petitesse du marché suisse fait aussi qu’on passe souvent sous le radar des grosses plateformes sur certains films et sur certaines séries. J’ose croire que cela nous permettra toujours de sortir notre épingle du jeu et d’obtenir des fenêtres plus intéressantes que celles que nous offre la théorie.»
«Y aura-t-il toujours du cinéma dans les chaînes gratuites de France et de Suisse? La réponse est oui, assure Luc Guillet. Est-ce qu’on aura encore du cinéma inédit? Ce sera peut-être plus dur. En aura-t-on toujours autant? C’est à voir. Cela pourrait conduire les chaînes gratuites françaises, et en partie la RTS, à repositionner son offre sur du cinéma de catalogue», à l’instar des «Bronzés font du ski» qui a réuni entre les fêtes de Noël et du Nouvel-An un nombre surprenant de spectateurs de moins de 50 ans (50.1% auprès des 30-49ans. ndlr). «Je ne dis pas que je suis optimiste, mais je ne suis pas inquiet», conclut le cadre.