MédecineDes chercheurs lausannois identifient le neurone qui permet de remarcher
Le Centre NeuroRestore a découvert qu’une famille de neurones est essentielle pour la motricité, mais uniquement chez les personnes paralysées.
- par
- Michel Pralong
De nouvelles recherches menées par le Centre NeuroRestore ont identifié un type de neurones qui ne sont pas particulièrement sollicités pour la marche des individus en bonne santé, mais se révèlent essentiels pour leur récupération après une lésion de la moelle épinière. Les chercheurs les ont activés et remodelés par la stimulation électrique, ce qui et a permis à neuf patients paralysés de remarcher, de se tenir debout et de se remuscler.
Une amélioration qui persiste
Des travaux coordonnés depuis plusieurs années par Grégoire Courtine de l’EPFL et Jocelyne Bloch du CHUV ont déjà montré qu’une stimulation ciblée au moyen d’électrodes placées sur la région de la moelle épinière qui contrôle les muscles des jambes permet à des patients paralysés à la suite d’une lésion à la moelle épinière de retrouver une certaine mobilité. Dans leur nouvelle étude, publiée aujourd’hui dans «Nature», ils montrent non seulement que cette thérapie est efficace chez neuf patients, mais également qu’au terme du processus de réhabilitation, l’amélioration de la motricité des patients persiste même en l’absence de stimulation électrique.
Cette récupération neurologique suggère une repousse et une réorganisation des fibres nerveuses impliquées dans la marche. Pour les chercheurs, il était alors crucial de comprendre précisément cette réorganisation afin d’améliorer encore les traitements pour en faire bénéficier un maximum de patients. Les scientifiques ont donc étudié cette récupération sur un modèle de rongeurs, ce qui leur a permis d’identifier une famille de neurones surprenants, les Vsx2: ils ne sont pas particulièrement sollicités pour la marche des individus en bonne santé, mais se révèlent essentiels pour leur récupération après une lésion de la moelle épinière.
Atlas moléculaire de la moelle épinière
Pour la première fois, les chercheurs ont réussi à visualiser l’activité de la moelle épinière humaine durant la marche. Cette précision leur a permis de faire un constat étonnant: alors que la moelle épinière des patients est stimulée, son activité durant la marche décroît au fur et à mesure de la récupération. Les scientifiques ont supposé que cette activité reflétait la sélection de certains neurones dédiés à la récupération fonctionnelle. Pour tester cette possibilité, ils ont mis en place une technologie moléculaire de pointe: «Nous avons pour la première fois pu établir un atlas moléculaire de la moelle épinière d’une précision telle qu’il nous permet d’observer, neurone par neurone, l’évolution du processus de guérison», souligne Grégoire Courtine, professeur de neurosciences à l’EPFL et codirecteur du centre NeuroRestore.
Grâce à la précision de cet atlas, les chercheurs ont montré que la stimulation de la moelle épinière active ce type de neurones spécifiques, et que l’importance de ces neurones croît avec le processus de récupération. Pour valider cette découverte, Stéphanie Lacour, également professeure à l’EPFL, a augmenté les implants de son laboratoire avec une série de diodes électroluminescentes qui permettent non seulement de stimuler la moelle épinière, mais également d’inactiver exclusivement les neurones Vsx2 en utilisant l’optogénétique (technique qui permet, par une stimulation lumineuse, d’altérer spécifiquement et localement un nombre limité de cellules modifiées génétiquement pour y être sensibles, sans perturber l’état des cellules voisines).
Chez les souris souffrant d’une lésion, cette inactivation des neurones Vsx2 a immédiatement stoppé la marche, alors qu’elle restait sans effet sur les souris saines. Ceci indique que les neurones Vsx2 sont à la fois nécessaires et suffisants pour que le traitement d’électrostimulation soit efficace et entraîne la réorganisation du système nerveux.
Régénérer les lésions de la moelle épinière
«Comprendre les fonctions spécifiques de chaque sous-population de neurones lors d’une activité complexe telle que la marche est un défi fondamental des neurosciences, souligne la neurochirurgienne Jocelyne Bloch, codirectrice de NeuroRestore. Ces nouveaux travaux, validés auprès des 9 patients qui ont pu regagner une certaine mobilité grâce à nos implants, nous permettent de mieux comprendre le processus de réorganisation de la moelle épinière». Jordan Squair, qui se focalise au sein de NeuroRestore sur les thérapies régénératives, ajoute: «Cela nous ouvre des opportunités thérapeutiques encore plus ciblées: nous visons à manipuler ces neurones pour régénérer les lésions de la moelle épinière.»