BerneCoûts de la santé: Alain Berset dénonce le «cartel du silence»
Aucun groupe n’a soutenu le «frein aux coûts» proposé par le Centre pour enrayer la hausse des primes maladie. Ses élus et le conseiller fédéral ont dénoncé les «cartels» qui bloquent tout à Berne. Et ils ont gagné une petite victoire.
- par
- Eric Felley
«Seuls contre tous et c’est peut-être bon signe…» Ce mardi, le conseiller national Benjamin Roduit (C/VS) avait la verve des grands jours au Conseil national. Le Parlement débattait de l’initiative de son parti, le Centre: «Pour des primes plus basses.» Tous les autres groupes politiques ont annoncé la couleur: ils ne soutiendront pas cette proposition visant à limiter la hausse des coûts de la santé. Une situation paradoxale dans un domaine où chaque parti regrette l’augmentation linéaire des primes au fil des ans, avec une annonce de plus de 5% pour cet automne.
L’initiative pose cette équation: si la hausse des coûts moyens par assuré et par année dans l’assurance obligatoire est supérieure d’un cinquième à l’évolution des salaires nominaux – et que les acteurs de la santé ne font rien pour freiner la hausse - la Confédération et les cantons prennent des mesures pour faire baisser les coûts l’année suivante. Le Conseil fédéral a proposé un contre-projet plus concret dans la façon d’agir. Ce dernier a été amendé à la baisse en commission sous l’influence des acteurs de la santé.
Système paralysé
Seul contre tous, Benjamin Roduit était dépité: «Le système est paralysé. Je suis membre de la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique. Je constate que chaque partenaire parle un dialecte différent. Personne ne veut faire des économies: ni médecins, ni hôpitaux, ni cantons, ni offices fédéraux, ni fabricants, ni pharmaciens, ni patients, personne!»
Son président, Gerhard Pfister (C/ZG), a eu des mots durs contre ses collègues des «cartels» de la santé «puissants et intouchables». Il s’en est pris aux lobbyistes «qui profitent de ce système fermé, qui n’est rentable pour personne sauf pour eux». En évoquant le contre-projet présenté par le Conseil fédéral et encore modifié par la commission de la santé, il a évoqué un texte réduit à néant: «Je me réjouis de la campagne de votation sur cette initiative, où il faudra expliquer à la population».
«Les autres regardent ailleurs»
À son tour de parole, Alain Berset a repris le même vocabulaire en parlant du «cartel du silence», qui sévit à Berne. Rappelant que le Conseil fédéral a déjà proposé deux paquets de mesures pour agir contre la hausse des coûts sans grand succès: «Cela parce que le cartel du silence joue encore et toujours dans le domaine de la santé. Qu’est-ce que le cartel du silence? Lorsque le Conseil fédéral ou le Parlement veulent toucher à un domaine spécifique dans la santé pour freiner l’évolution des coûts, les autres regardent ailleurs et se taisent, en espérant pouvoir bénéficier du même silence le jour où ils seront, de leur côté, concernés.»
Le frein aux coûts
Pour en revenir à l’initiative, de nombreux conseillers du Centre sont venus défendre le texte. Pour Ruth Humbel (C/AG): «Les coûts de la santé, c’est la quantité des prestations multipliées par leur prix. La cause principale de la hausse des coûts est l’augmentation des quantités. Cette croissance quantitative est due en partie à un gaspillage de ressources, on pourrait économiser chaque année 6 milliards de francs». Elle a évoqué la surmédication, les erreurs médicales et les 4000 tonnes de médicaments qui sont jetés chaque année: «L’initiative veut exploiter ce potentiel d’économie avec un frein aux coûts. Cela n’a rien à voir avec un budget global ou un rationnement».
Contre l’étatisation et le rationnement
À droite, l’UDC et le PLR ne veulent rien entendre de l’initiative et du contre-projet. Céline Amaudruz (UDC/GE) estime qu’ils «instaurent des règles rigides en matière de dépenses, qui conduisent à un rationnement. (…) Cette façon de procéder, étatiste au possible, serait en contradiction totale avec le partenariat tarifaire actuel, et annoncerait l’étatisation irréversible de la politique de santé». Pour sa collègue Regine Sauter (PLR/ZH): «Nous avons un excellent système de santé en Suisse, l’approvisionnement est assuré, les temps d’attente sont courts, etc. On ne veut pas de rationnement, il faut appeler un chat un chat. Si on définit des objectifs, des enveloppes budgétaires, certaines prestations ne pourront plus être fournies».
La gauche ne suit pas
Le Centre n’a guère plus trouvé de soutien à gauche. Léonore Porchet (V/VD): «Nous rejetons les plafonds de coûts pour les soins de santé, car les personnes qui dépendent d’un système de santé financé par la solidarité en pâtiraient, nous avons peur de la médecine à deux vitesses». Pour Pierre-Yves Maillard (PS/VD): «Cette initiative est trop sommaire, n’apporte pas en fait d’instruments précis de maîtrise des coûts et se concentre sur les salaires comme indicateur de croissance, ce qui est insuffisant». Par ailleurs, le PS doit défendre sa propre initiative dans deux semaines, qui vise à contenir les primes à 10% du budget d’un ménage.
Une victoire pour le Centre et la gauche
Finalement, après l’entrée en matière sur l’initiative, les parlementaires ont débattu du contre-projet du Conseil fédéral. Le plénum devait se prononcer sur la proposition de la majorité de la commission, qui voulait biffer quasi toutes les propositions de «mesures visant à maîtriser les coûts», et ainsi vider de sa substance le contre-projet. Mais finalement, le «cartel du silence» a cette fois perdu. Le Centre, la gauche et Alain Berset l’ont emporté de justesse par 94 voix à 91. Et Benjamin Roduit n’était plus seul contre tous.
Le débat se poursuit demain.