Procès du 13-Novembre«C’est nos enfants que vous avez assassinés, pas la France»
Le père d’une des victimes du Bataclan a été entendu par la Cour d’assises spéciale de Paris. De culture musulmane, il a fait une leçon de tolérance aux accusés.
Ali* (nom d’emprunt, à la demande du témoin, ndlr) a 66 ans et a perdu son fils Thomas, assassiné à Paris, au Bataclan, le 13 novembre 2015. De culture musulmane, marié à une femme catholique, il a donné mardi une leçon de tolérance aux accusés, provoquant une réaction amère de Salah Abdeslam.
Voici les principales déclarations d’Ali devant la Cour d’assises spéciale de Paris: «Je suis, comme on dit communément, un «beur de la 2e génération». Je suis issu d’une famille d’immigrés algérienne de huit enfants.»
«Je me suis souvent interrogé sur comment et pourquoi des jeunes Français et des jeunes Belges (c’est le cas de la majorité des accusés dans les box, ndlr) élevés en Europe, qui ont été formés dans nos écoles, qui connaissent parfaitement nos modes de vie et nos coutumes en Occident, ont-ils pu être enrôlés, manipulés et galvanisés par l’idéologie de l’État islamique, et commettre l’irréparable, l’inacceptable carnage du 13-Novembre.»
«Ces actes de violence barbare, intolérables, inqualifiables et leur allégeance à une idéologie et à une organisation islamiste, prétendant agir au nom de l’islam et du Coran, me donnent la nausée.» «Je veux dire (aux accusés), en tant que fils d’immigré algérien, de confession musulmane, que l’islam qu’ils prônent n’est ni le mien, et ne le sera jamais, ni celui de mes parents, ni celui de mes voisins, ni celui d’un milliard et demi de musulmans dans le monde.»
«Des paumés»
«Je refuse qu’on puisse faire l’amalgame entre des va-t-en-guerre, des paumés de notre société, des inadaptés sociaux, des tueurs sanguinaires, et les musulmans qui n’ont qu’une seule envie: vivre en paix et en harmonie, dans une communauté humaine ouverte et respectueuse de chacun.»
«Les musulmans n’ont rien à voir avec ces gens qui prétendent défendre une religion qu’ils ne connaissent probablement pas. Ont-ils seulement lu le texte sacré du Coran? Savent-ils seulement faire la différence entre les musulmans et les Arabes?»
«Je voudrais encore leur dire que, par leurs actes abjects et barbares, ils prennent en otage tous les musulmans. Ils donnent du grain à moudre aux groupes extrêmes qui créent et entretiennent une confusion entre islamisme et islam, entre réfugiés, immigration et terrorisme afin de fragiliser encore davantage les étrangers.»
«M. Abdeslam, vous avez déclaré: «On a combattu la France, on a attaqué la France» (…) mais c’est nos enfants que vous avez assassinés, pas la France». «Vous vous servez de l’islam pour justifier votre croisade contre l’Occident et ceux que vous appelez les «kouffars», c’est-à-dire les infidèles, les mécréants, pour justifier à l’évidence une idéologie éculée et archaïque afin, désespérément, de prendre le pouvoir, pour exister et prospérer dans la région syro-irakienne.»
«Un groupe de malfrats»
«Vous n’êtes qu’un groupe de malfrats en quête d’un territoire, d’une reconnaissance et d’un pouvoir. Vous ne représentez aucunement l’islam, vous n’avez d’ailleurs aucune légitimité, aucun pays. Vous êtes prêts à tuer toute personne ou groupes de personnes qui ne pensent pas comme vous, qui ne partagent pas vos idées.»
«La haine des autres vous habite, vous aveugle et vous rend fous et celle des femmes vous hante et finira par vous tuer. Je vous méprise. (…) Nous n’accepterons jamais de plier face aux fanatismes, à la barbarie et aux tueurs sanguinaires que vous êtes.»
«Vous avez cru que cet acte barbare allait nous pétrifier et nous anéantir, mais vous avez eu tort, car il nous a galvanisés, il nous a rendus encore plus forts et plus déterminés que jamais à défendre la liberté, la démocratie et l’envie de vivre ensemble dignement et dans la paix». «Vous trouverez toujours sur votre route des hommes et des femmes qui feront barrage à vos idées et à votre idéologie meurtrière. Il existe un islam des Lumières et c’est dans celui-là que je me reconnais.»
Après une suspension d’audience, Salah Abdeslam, principal accusé dans le procès des attentats revendiqués par le groupe État islamique, a souhaité réagir. «Je ne force personne, moi, à devenir musulman. Vous, vous avez votre législation, votre religion et vos valeurs, et on ne vous en veut pas pour ça. Nous, on pratique notre religion et notre législation chez nous, c’est tout ce que j’ai à dire», a-t-il dit confusément.