EgypteUn siècle après Toutankhamon, les Egyptiens veulent sortir de l’ombre
Des voix se lèvent pour revendiquer et mettre en lumière l’implication souvent oubliée des archéologues égyptiens dans les découvertes majeures de l’égyptologie.
Sur la photo iconique, le Britannique Howard Carter inspecte le sarcophage de Toutankhamon et, dans l’ombre, se tient un Egyptien. Ce cliché du début du XXe siècle illustre bien ce que furent deux siècles d’égyptologie selon les experts: d’un côté, le savant occidental qui découvre seul des trésors; de l’autre, des petites mains égyptiennes absentes de l’histoire de la révélation des secrets des pharaons.
L’égyptologie, née à l’époque coloniale, a créé «des inégalités structurelles» qui «résonnent aujourd’hui» encore, souligne la Britannique Christina Riggs, égyptologue à l’université de Durham. Mais, alors que le monde célèbre le bicentenaire du déchiffrement de la pierre de Rosette par le Français Jean-François Champollion et le centenaire de la découverte du tombeau de l’enfant-pharaon Toutankhamon par Carter, en Egypte des voix s’élèvent pour mettre en lumière la contribution des Egyptiens dans ces explorations.
Les Egyptiens qui ont fouillé «ont fait tout le travail» mais ils «ont été oubliés», déplore Abdel Hamid Daramalli, chef de fouille à Qurna (sud) où il dit être né sur la tombe d’un scribe. «C’est comme si personne n’avait cherché à comprendre l’Egypte antique avant» Champollion, qui le 27 septembre 1822 annonça avoir déchiffré la pierre de Rosette, abonde la chercheuse Heba Abdel Gawad, spécialiste de l’héritage égyptien.
«Anonymes»
Sur le fameux cliché, «l’Egyptien, pas nommé, pourrait être Hussein Abou Awad ou Hussein Ahmed Saïd», explique Mme Riggs. Ces deux hommes ont été, avec Ahmed Gerigar et Gad Hassan, des piliers de l’équipe de Carter pendant près d’une décennie mais aucun expert ne peut aujourd’hui mettre un nom sur les visages photographiés. «Les Egyptiens sont restés dans l’ombre, anonymes et transparents dans le récit de leur histoire», résume l’historienne.
«L’archéologie, c’est surtout de la géographie», explique Mme Abdel Gawad. Et dans ce domaine, dit-elle, les agriculteurs locaux ont un atout en main: «Ils connaissent le terrain et ses reliefs» et peuvent dire «en fonction des couches sédimentaires s’il y a des objets enterrés». C’est ainsi que de génération en génération, le travail de fouille s’est transmis à Qurna et à Qift, au nord de Louxor.
«Enfants de Toutankhamon»
«Les Egyptiens ont été effacés du récit historique à cause de l’occupation culturelle de l’Egypte des 200 dernières années», affirme Monica Hanna, doyenne du Collège d’archéologie d’Assouan. Il faut prendre en compte «le contexte historique et social de l’Egypte sous occupation britannique», nuance Fatma Keshk, conférencière à l’Institut d’archéologie orientale du Caire.
Au début du XXe siècle, sur fond d’anticolonialisme grandissant, l’héritage pharaonique sert à faire vibrer la corde nationaliste. La bataille culturelle devient politique. «Nous sommes les enfants de Toutankhamon», chante la diva Mounira al-Mahdiyya en 1922 – année de la découverte de la tombe de l’enfant-pharaon dans la Vallée des Rois et de l’indépendance de l’Egypte.
A coups de campagnes brocardant la mainmise des étrangers sur le patrimoine national, Le Caire parvient la même année à mettre fin au système de partage colonial qui garantissait aux Occidentaux la moitié des pièces mises au jour en échange du financement des fouilles. Mais alors, l’Egypte antique a été dissociée de l’Egypte moderne et à partir de là «considérée comme une civilisation universelle» dans un monde qui à l’époque «se résumait à l’Occident», analyse Mme Abdel Gawad.
Toutankhamon reste en Egypte mais le pays «perd les archives des fouilles», outil essentiel pour toute publication universitaire, au profit de la collection privée Carter, relate Mme Hanna. «Nous étions encore colonisés. Ils nous ont laissé les objets mais ont pris notre capacité à produire de la connaissance sur Toutankhamon.» Et quand la nièce d’Howard Carter décide de faire don de ces archives peu après la mort de l’archéologue britannique en 1939, elle choisit l’université d’Oxford plutôt que l’Egypte. Oxford qui justement propose actuellement l’exposition «Toutankhamon: fouille dans les archives» pour mettre en lumière «les Egyptiens souvent oubliés des équipes archéologiques».