L’usage médical de la kétamine serait peu addictif

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De plus en plus utilisée pour traiter les dépressions, cette drogue fait débat, certains estimant qu’elle peut devenir une addiction. L’UNIGE a découvert que cela ne serait pas le cas.

L’équipe de recherche a utilisé un dispositif permettant aux souris de s’auto-administrer des doses de kétamine via un cathéter.

L’équipe de recherche a utilisé un dispositif permettant aux souris de s’auto-administrer des doses de kétamine via un cathéter.

Christian Lüscher

Découverte en 1962 par le chimiste américain Calvin Lee Stevens, la kétamine est une drogue de synthèse dérivée de la phencyclidine et dotée de puissantes propriétés anesthésiques. Elle est couramment utilisée en médecine humaine et vétérinaire, notamment pour soulager les douleurs et opérer de courtes sédations. Elle est également consommée illicitement à des fins récréatives, son effet dissociatif induisant une perception modifiée de la réalité.

Un antidépresseur rapide

Depuis une dizaine d’années, la kétamine est également prescrite pour soulager les symptômes dépressifs des personnes résistantes aux traitements classiques. Son action présente par ailleurs l’avantage d’être très rapide: elle est ressentie quelques heures après la première prise alors que les antidépresseurs traditionnels mettent plusieurs semaines à agir. Bien que sa prescription soit en augmentation pour ce type de traitement, cette substance fait encore largement débat au sein de la communauté scientifique.

«Certains estiment que la kétamine présente un fort risque addictif en cas de prise prolongée, d’autres non. Tout l’enjeu de notre recherche était de tenter d’apporter des éléments de réponse», explique Christian Lüscher, professeur ordinaire au sein du Département des neurosciences fondamentales de la Faculté de médecine de l’Université de Genève (UNIGE) et spécialiste des mécanismes qui sous-tendent l’addiction.

Addiction et dépendance

L’addiction est définie comme la consommation compulsive d’une substance en dépit de ses conséquences négatives (trouble du comportement). La dépendance, elle, se caractérise par l’apparition d’un ou plusieurs symptômes de sevrage à l’arrêt brusque de la consommation (trouble physiologique). La dépendance (dont les manifestations physiques varient beaucoup selon les drogues) touche tout le monde. L’addiction, en revanche, ne concerne qu’une minorité de personnes et n’est pas provoquée par toutes les drogues. Par exemple, dans le cas de la cocaïne, seuls 20% des consommateurs deviennent addicts, même après une exposition prolongée. Pour les opiacés, seuls 30%.

Dans le cadre de ses récents travaux, c’est précisément le risque addictif de la kétamine que l’équipe de Christian Lüscher a cherché à évaluer. Pour ce faire, elle a utilisé un dispositif permettant à des souris de s’auto-administrer des doses de kétamine. «Les drogues stimulent intensément le système de récompense dans le cerveau, ce qui engendre une augmentation du taux de dopamine. La première étape a consisté à observer si ce mécanisme était également à l’œuvre lors de la prise de kétamine», explique Yue Li, postdoctorante au sein du Département des neurosciences fondamentales de la Faculté de médecine de l’UNIGE.

Les scientifiques ont constaté que le taux de dopamine (aussi appelée «molécule du plaisir») augmentait bien lors de chaque prise et induisait chez les souris un renforcement positif, ce qui les motivait à répéter l’auto-administration. «Cependant, contrairement à la cocaïne par exemple, nous avons constaté que le taux de dopamine diminuait très rapidement après la prise», indique Yue Li.

Une drogue qui n’imprime pas sa «marque»

L’équipe de recherche a voulu comprendre ce phénomène. Elle a découvert que la kétamine déclenchait une augmentation de la dopamine en inhibant, dans le centre de récompense du cerveau des rongeurs, une molécule appelée récepteur NMDA. Elle a ensuite observé que cette dopamine se liait à un second récepteur (appelé récepteur D2) qui freine rapidement son augmentation. Les chercheurs ont également confirmé que l’action du récepteur NMDA était nécessaire pour modifier la communication entre les cellules nerveuses qui sous-tendent le changement comportemental menant à l’addiction.

Lors de la prise de kétamine, son inhibition rend cette modification impossible. «Cette double action de la kétamine a pour conséquence de ne pas entraîner la plasticité synaptique que provoquent les drogues addictives et qui persiste dans le cerveau après la disparition de la substance. C’est cette «mémorisation» du produit dans le système de récompense (absente dans le cas de la kétamine, donc) qui pousse à la répétition de la consommation, explique Christian Lüscher. Par conséquent, le risque addictif de la kétamine semble nul chez les rongeurs. Est-ce également le cas chez l’être humain? Ce risque pourrait-il varier en fonction des individus? Notre étude, parue dans la revue «Nature», pose un cadre solide pour débattre de l’accès à son utilisation thérapeutique», conclut Christian Lüscher.

(comm/M.P.)

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