FootballEn matière de coups francs, Bregy a peut-être trouvé son successeur
Le Servettien Kastriot Imeri est en passe de s’imposer comme un redoutable tireur de balles arrêtées, un art que l’ancien joueur du FC Sion et de Young Boys maîtrisait à la perfection.
- par
- Nicolas Jacquier
Dans le temps du match, c’est un moment suspendu, à part. Un ballon délicatement frappé, une trajectoire audacieuse, un mur contourné jusqu’à l’apothéose, des filets qui tremblent, avec une toile souvent trouvée. Le coup franc est l’expression favorite des artistes, leurs signatures autant que leur art. Juninho était réputé pour ça; le Brésilien en a réussi 77 – un record mondial – durant sa prolifique carrière, dont 44 marqués avec Lyon.
En Suisse, Georges Bregy (aujourd’hui 63 ans) en était le spécialiste unanimement reconnu. Mais le Valaisan, qui en a lui aussi inscrit des dizaines, n’a jamais été remplacé dans l’imaginaire collectif, restant celui qui savait le mieux dompter, sinon maîtriser, cette rencontre entre l’homme et le ballon.
Déjà six essais transformés
Les choses sont pourtant peut-être en train de changer en Super League, où il ne s’est jamais marqué autant de coups francs directs que depuis ce début de saison. C’est bien simple: après huit journées, pas moins de six essais ont été transformés. Un art que le FC Zurich maîtrise à la perfection grâce à la vista d’Antonio Marchesano (deux coups francs victorieux) et celle d’Ante Coric, auteur d’un pur chef-d’œuvre contre Servette le 21 septembre.
Ce soir-là, au Letzigrund, Kastriot Imeri n’était pas demeuré en reste. Dans un angle impossible, le jeune milieu de terrain «grenat» avait marqué un coup franc incroyable, offrant un point mérité aux visiteurs dans les ultimes secondes de la partie (2-2). «Quand j’ai posé le ballon, raconte Imeri, je me suis aperçu que le deuxième poteau était libre en raison de la position du gardien, qui avait oublié que je pouvais tirer par là. Personne ne pensait que j’allais le faire. Dans ce genre de situation, j’aime bien prendre des risques.»
Et boum, une trajectoire flottante, une frappe d’inspiration «juninhesque» ressemblant à celle décochée par l’exécuteur des hautes œuvres lyonnaises en février 2009, contre Barcelone en 8e de finale de la Ligue des champions.
Imeri aurait-il du Juninho en lui? «Disons que je suis tombé sur plusieurs de ses coups francs sur la Toile et que j’essaie de m’en inspirer en les tirant comme lui.» Il en résulte ainsi des similitudes parfois troublantes.
Un coup franc, c’est surtout une prise de risque pas assez souvent utilisée. «Je m’entraîne parfois seul à cet exercice, reprend le Servettien. Je vais au stade près de chez moi et j’aligne plusieurs séries de frappe. Pour moi, c’est un plaisir. C’est sans doute le geste que j’entraîne le plus, sinon le mieux. Tout le monde n’a peut-être pas cette facilité. Mais dès l’instant où l’on possède cette arme dans les pieds, il faut l’utiliser. Surtout quand on voit l’importance croissante des balles arrêtées dans une rencontre.»
A 21 ans, Kastriot Imeri s’imposera-t-il comme le digne successeur de «papy Georges» Bregy? «Ce serait génial. Alors oui, bien sûr, pourquoi pas…» Il en a en tout cas déjà pris le chemin.
Bregy: «On sent tout de suite si c’est réussi ou pas»
Entre 1979 et 1994, Georges Bregy a disputé 462 matches de LNA et inscrit 170 buts. Parmi ceux-ci, combien de coup francs précisément? «Pas mal, sourit l’ancien international. On a tendance à penser que le secret d’un bon coup franc, c’est d’abord le coup d’œil. Mais c’est faux. Ce qui compte en priorité, c’est le pied, sa position au moment d’entrer dans le ballon. Il faut toucher juste, au bon endroit. On sent tout de suite si c’est réussi ou pas.»
Son coup de patte le plus célèbre demeure celui de Detroit, lors de la World Cup américaine, inscrit le 18 juin 1994 contre les États-Unis lors du match d’ouverture (1-1). Grâce à leur artificier, les boys de Roy Hodgson avaient ouvert le score à la 39e minute.
L’homme à la moustache connaît les dernières statistiques en la matière, à la hausse sur les pelouses de Swiss Football League. «Il faut chercher les coups francs autour des 16 mètres, reprend le Valaisan. C’est ce qui a longtemps manqué ces dernières années. Sur trois tentatives en match, il faut idéalement en transformer au moins une. D’une manière globale, j’estime que l’on n’entraîne pas assez les coups francs chez nous. Moi, partout où j’ai joué, je restais des heures à perfectionner mes gammes, à répéter inlassablement le même geste. Même si cela n’est pas donné à tout le monde. Sur 10 footballeurs, vous en aurez seulement 2 ou 3 qui ont le bon pied…»
Le sien n’a jamais vraiment tremblé…