CommentaireCacophonie bancale sous la Coupole fédérale
La débâcle du Credit Suisse a exacerbé les clivages politiques. De toute façon, la messe était dite et les grands vainqueurs sont les banques, à qui on ne demande rien de plus.
- par
- Eric Felley
Le sauvetage de Credit Suisse et de la place financière helvétique annoncés par le Conseil fédéral, le 19 mars dernier, a ouvert des blessures qui seront longues à cicatriser à Berne.
La session extraordinaire, qui devait avaliser les garanties financières de 109 milliards de francs dans l’opération de fusion avec UBS, se termine sur un échec pour Karin Keller-Sutter. Elle révèle l’ampleur des divisions que cette affaire a provoquée au sein du monde politique.
L’UDC, qui d’habitude vote avec la droite bourgeoise pour soutenir la place financière, a décidé ici de se distinguer en refusant les crédits. En cette année électorale, ses dirigeants veulent répondre à la colère populaire. Après les élections genevoises, certains ont décrété que «l’effet Credit Suisse» allait profiter à l’UDC. Quelle aubaine! Pour le parti, il est donc plus intéressant de surfer sur la vague du mécontentement, plutôt que se ranger derrière le Conseil fédéral. Il sera toujours temps de revenir à de meilleurs sentiments.
L’opposition de la gauche est plus légitime, puisque les socialistes et les Vert.e.s ont souvent demandé des mesures de régulation plus strictes pour les banques. Mais sur ces questions, les consignes des faîtières de l’économie aux partis bourgeois ont été claires: pas de précipitation vers de nouvelles réglementations. Le président du PLR Thierry Burkart a eu ces mots: «Certaines choses ne peuvent en effet jamais être réglementées, voilà ce qui en fait partie: la décence, la confiance et l’humilité.»
Le Conseil fédéral a sauvé un système
À ces mots du président du PLR font écho l’indécence, l’arrogance et la cupidité des banquiers de Credit Suisse de jadis et de naguère. En deux jours, les parlementaires ont pu se défouler sur les «banksters» gavés de bonus qui ont provoqué la chute de la banque. Mais dans cette faillite collective sur des années, il est quasi impossible d’extirper des gens plus coupables que d’autres. Comme le répète le Conseil fédéral, la Confédération n’a pas sauvé Credit Suisse: il a sauvé la place financière et l’économie du pays en grand danger, le 19 mars dernier. Il a sauvé un système. Le système lui dit merci, mais ne va pas changer pour autant.
Passée cette crise du mois de mars, les marchés financiers ont repris leurs affaires selon leurs propres règles qui tiennent, pour une part en tout cas, plus du western que de l’autorégulation. La semaine dernière, on apprenait dans un article du «Figaro», que les événements de la mi-mars ont fait des heureux: les fonds spéculatifs, qui ont parié sur la chute des actions des établissements bancaires avec «la technique de la vente à découvert». Le fournisseur de données américain Ortex a calculé que ces fonds ont gagné l’équivalent de 6,62 milliards de francs durant cette période.
Spéculateurs gagnants
Les fonds spéculatifs ont beaucoup gagné avec la chute de la Silicon Valley Bank aux États-Unis, mais aussi avec celle de Credit Suisse. Le 20 mars, «14% des titres de la banque suisse étaient entre les mains de vendeurs à découvert, contre 3,5% en début de mois». Ces pratiques ont contribué à la débâcle de la banque suisse. Ces vendeurs à découvert ont ainsi gagné l’équivalent de 556 millions de francs en spéculant sur la faillite de Credit Suisse.
Cela confirme que Credit Suisse a été en quelque sorte «attaquée» par des fonds malveillants. Comme l’a dit Karin Keller-Sutter, jusqu’au mois de févier, il n’y avait aucune raison de s’inquiéter pour la banque. Le Conseil fédéral a promis qu’il ferait toute la lumière sur cette affaire, dans le délai d’une année.
Espérons qu’il aura l’indépendance requise pour traiter tous les aspects du «système» sans tabou. Une commission d’enquête parlementaire ne serait pas de trop pour augmenter les chances d’avoir des réponses. Si tant est que ce soit encore possible.