Suisse-UE: Le pamphlet féroce de François Cherix sur la Suisse

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Suisse-UELe pamphlet féroce de François Cherix sur la Suisse

Sous la forme d’un monologue original à Guillaume Tell, l’essayiste publie un livre qui revient sur la rupture des négociations de la Suisse avec l’Union européenne.

Eric Felley
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François Cherix

François Cherix

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Écrivain et européen engagé, François Cherix publie un pamphlet corsé contre les autorités fédérales qui ont rompu en mai 2021 les négociations avec l’Union européenne. Pour faire passer son message, il s’imagine devant la tombe d’un Guillaume Tell* encore tiède pour lui tenir un discours haut en couleur. «Guillaume, lui dit-il, dans notre pays aujourd’hui, il n’existe pas de position plus iconoclaste, plus audacieuse, plus provocatrice que celle de proeuropéen!» Où même les gens qui défendent mollement les bilatérales «passent pour des euroturbos».

Guillaume Tell, homme libre et courageux

Guillaume Tell, mythe tutélaire des conservateurs et nationalistes helvétiques, devient son ami et confident. En se coupant de ses voisins, les Suisses ont trahi l’esprit du héros d’Altdorf, qui fut un homme d’action, libre et courageux. Contrairement à ceux qui se réclament de lui aujourd’hui, qui ont peur de tout et barricadent la Suisse d’avec ses voisins.

Cette appropriation de Guillaume Tell est un pied de nez aux supporters de Christoph Blocher, dont les thèses ont fini par «contaminer peu à peu l’ADN citoyen». Pour François Cherix, le Conseil fédéral actuel, peu inspiré, a pris cette décision regrettable à plus d’un titre pour nos relations avec nos voisins. Il dépeint une Suisse repliée sur elle-même, qui n’a d’intérêt que pour ses affaires, ses «marécages financiers». Il esquinte aussi l’Union syndicale suisse qui a rejoint le camp europhobe et porté le coup de grâce à la négociation.

«Responsable de rien pour profiter de tout»

François Cherix revient sur la devise de Ben de l’exposition de Séville en 1992: «La Suisse n’existe pas». Il la réactualise dans sa dimension géopolitique: la Suisse fait tout pour ne pas exister, pour ne pas s’impliquer et préserver ses intérêts mercantiles.  «Ce qui l’intéresse particulièrement dans le concept de neutralité, c’est d’abord de n’être responsable de rien pour profiter de tout». On en vient presque à se réjouir de la rupture des négociations avec l’UE, tant l’auteur prend plaisir à trouver des formules assassines pour dépeindre la situation. La description du pays en tant que «beaux quartiers» de l’Europe vaut le détour.

Tout est à reconstruire

Depuis qu’Ignazio Cassis et ses collègues ont tiré la prise avec l’UE, François Cherix traduit le marasme des milieux qui aspirent toujours à l’intégration de la Suisse au projet européen. Il n’est pas naïf, tout est à reconstruire, jusqu’au discours: «Je crois que nous n’avons même plus les mots, la grammaire, la langue, qui nous permettraient d’ouvrir un débat sensé sur l’Europe et sur notre place dans son développement». Mais lui-même veut y croire. Il se voit ainsi comme Guillaume Tell face au bailli Gessler, prêt à libérer le pays de ceux qui enferment ses habitants dans l’illusion d’une Suisse parfaite dans un monde déliquescence.

*«Éloge funèbre de Guillaume Tell», François Cherix. 160 p. Éditions de l’Aire. Vevey 2022.

Morceaux choisis

  • «Ceux qui t’ont utilisé pour affirmer que notre souveraineté tient au refus de l’Europe sont des faussaires de l’histoire et des saboteurs de son avenir» (p. 8 à propos de Guillaume Tell)

  • «Sans scrupule, ni vision, elle (la Suisse) s’est trouvé des prétextes pour casser un accord afin de pouvoir s’émanciper aussi longtemps que possible de règles qui pourraient lui coûter quelques sous ou l’empêcher de prospecter ces marécages financiers qu’elle affectionne» (p. 18)

  • «Ce qui l’intéresse particulièrement (la Suisse) dans le concept de neutralité, c’est d’abord de n’être responsable de rien pour profiter de tout» (p. 26)

  • «Bénéficiant des privilèges de vivre au cœur géographique du projet européen, dont ils tirent grand bénéfices, les Suisses, dans leur grande majorité, n’en défendent ni les artisans, ni les valeurs» (p. 30)

  • «Un Conseil fédéral qui n’est pas un gouvernement, mais une addition de sept personnes dont le principal objectif est de gérer leur Département, tout en se méfiant des six autres» (p. 49)

  • «Protéger aussi longtemps que possible le secret bancaire, le dumping fiscal, l’ingénierie financière et l’impunité du capitalisme sauvage constituent depuis toujours l’objectif des souverainistes suisses»

  • «La chute des défenses immunitaires de la Suisse contre le populisme europhobe a conduit à cette décision aberrante». (p. 82)

  • «Je crois que nous n’avons même plus les mots, la grammaire, la langue, qui nous permettraient d’ouvrir un débat sensé sur l’Europe et sur notre place dans son développement» (p. 99)

  • «Même quand la Suisse s’accommode des injustices ou des pires idéologies, même quand elle se comporte en prédatrice fiscale ou en receleuse de trafics nuisibles, elle reste démocratiquement meilleure que le reste du monde». (p. 111)

  • À Guillaume Tell: «Dans cette comédie qui déguise une lâcheté planifiée en culte de l’indépendance, ton image a été utilisée, trahie, phagocytée par les nationalistes». (120)

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