Procédure judiciaireLe Conseil des États favorable au système des «repentis» en Suisse
Par une courte majorité, les sénateurs estiment que la Suisse pourrait introduire un système largement controversé.
- par
- Eric Felley
Intéressant débat ce mercredi au Conseil des États, qui devait se prononcer sur une proposition de sa Commission des affaires juridiques. Faut-il disposer en Suisse d’une procédure judiciaire qui protège les criminels dits «repentis». Le cinéma regorge d’histoires basées sur ce type de personnage, qui trahit son clan, bon gré mal gré, pour aider la justice à atteindre un plus gros poisson. En échange, il bénéficie d’une réduction de peine, d’un changement de nom et/ou d’une protection policière.
Généralement, ces scénarios se passent aux États-Unis ou en Italie, où la lutte contre le crime organisé nécessite des moyens diversement efficaces. Mais en Suisse, cette procédure pour les repentis n’existe pas. Elle a déjà fait l’objet de réflexions au Parlement, en vain. Mais ce mercredi, le Conseil des États a accepté un postulat qui demande «l’examen d’une réglementation relative aux programmes de clémence», selon les termes ad hoc.
Pas de «copier-coller»
En charge du Département de justice et police, Élisabeth Baume-Schneider n’en voulait pas et a rappelé que cet objet a déjà été examiné «à réitérées reprises… Le Conseil fédéral a conclu chaque fois qu’une telle réglementation s’opposerait aux principes fondamentaux de l’État de droit». Concernant l’utilisation de cet instrument aux États-Unis ou en Italie, elle a précisé: «Il est impossible de reproduire en tant que telles des expériences dans notre pays en ayant recours à un simple copier-coller».
Elle a cité l’exemple de l’Italie: «On estime que, dans le sud du pays, la mafia supplante depuis des siècles les autorités étatiques à la faiblesse criante. L’histoire de ce pays atteste aussi la difficulté qu’ont eu de nombreuses Italiennes et de nombreux Italiens à éprouver de la loyauté vis-à-vis des jeunes institutions et des structures étatiques, ce dont la mafia a amplement profité. Vous en conviendrez: ces spécificités italiennes n’ont rien à voir avec la situation en Suisse pour ce qui est de la confiance à l’égard des autorités, notamment judiciaires».
«Issu du droit anglo-saxon»
La conseillère aux États Céline Vara (NE/V) a abondé dans son sens: «L’institution dite du «témoin de la couronne» est un mode d’administration des preuves qui est issu du droit anglo-saxon, qui est donc déjà très loin de notre droit suisse… Dans la tradition juridique de l’Europe continentale et, bien sûr, en particulier en Suisse, le rôle de prévenu et celui de témoin sont totalement incompatibles. Le prévenu ou le suspect ne saurait être témoin dans sa propre cause. (…) En outre, la loi fédérale du 23 décembre 2011 sur la protection des témoins, qui est entrée en vigueur en 2013, prévoit déjà des programmes de protection pour les personnes menacées en raison de leur participation à une procédure pénale».
Carlo Sommaruga (PS/GE) a défendu le postulat: «Aujourd’hui, cela permettrait au Département fédéral de justice et police de reprendre la discussion et d’examiner ce qui peut encore être amélioré par rapport au dispositif actuel inscrit dans la loi. Il est vrai que le procureur général de la Confédération n’a pas dit qu’il y avait un besoin urgent d’agir. Cependant, selon lui, c’est une institution qui devrait être introduite à terme. Le rapport devra montrer les éléments positifs et les éléments négatifs, ou les inconvénients et les avantages. Sur cette base, des recommandations seront faites, peut-être de ne rien faire, peut-être de préciser le droit pénal, voire d’aller plus loin».
Majorité en faveur du postulat
Au vote, le Conseil des États a montré un visage complètement éclaté. Céline Vara a voté contre comme Marco Chiesa (UDC/TI), tandis que Pierre-Yves Maillard (PS/VD) a voté pour comme Johanna Gapany (PLR/FR). Finalement, il s’est dégagé une majorité de 20 à 16 en faveur du postulat, qui doit être traité dorénavant par le Conseil national.