Marseille (F)Contre les dealers, «c’est d’entrée qu’il faut agir, après c’est trop tard»
La mobilisation a payé: des habitants se sont organisés pour empêcher l’installation d’un point de deal dans un hall d’immeuble à Marseille, une ville gangrénée par le trafic de drogue.
Fatima est épuisée, après des nuits à occuper le hall de son immeuble à Marseille, dans le sud de la France, pour éviter l’installation d’un point de deal. Après dix jours de mobilisation, «on a gagné, frère!», lance la mère de famille à un voisin. La cité des Campanules est un ensemble de 420 logements sociaux récemment rénovés et habituellement calmes, dans la grande ville la plus pauvre de France. Mais, le 1er janvier, des trafiquants ont commencé à occuper un hall d’immeuble.
Seaux d’eau
«C’étaient des jeunes cagoulés, très jeunes, entre 12 et 15 ans, qui cachaient de la drogue dans les boîtiers électriques. Je les surveillais depuis mon balcon, j’envoyais des seaux d’eau, froide, chaude, même de la javel, pour les faire partir», raconte Bienvenida, qui ne souhaite pas décliner son identité complète, comme tous les habitants rencontrés.
«Le premier jour, un petit me dit, avec un joint à la bouche: «Y’a un problème, tata?». On est entre une crèche et un institut médico-éducatif, on est dans une ville où il y a des règlements de comptes, et moi j’avais surtout peur des dommages collatéraux», rebondit Fatima.
Contre la loi des dealers
Ici, nous ne sommes pas dans les quartiers Nord, mais tous redoutent de voir leur quotidien devenir celui de nombreuses cités marseillaises où les trafiquants font la loi, allant jusqu’à filtrer entrées et sorties. «Moi, me demander ma pièce d’identité pour rentrer chez moi, jamais!», s’étrangle Bienvenida.
Mobilisation citoyenne
Dès le 2 janvier, une mobilisation prend forme, jamais vue à Marseille, la deuxième ville de France. Des voisins se relaient pour occuper le hall, de midi à 2-3 heures du matin. Les policiers et le bailleur social sont appelés. La presse est prévenue, et, dimanche, ils manifestent, sous le slogan «pas de dealers aux Campanules». Certains menacent même d’arrêter de payer leur loyer.
«Prendre son destin en main»
«C’est d’entrée qu’il faut agir, parce qu’après, ils sont installés et c’est trop tard. C’est le début de la guerre. On est tous concernés, moi j’ai des enfants et j’ai peur de leurs fréquentations», raconte ce père de cinq enfants, qui préfère aussi rester anonyme, car «l’ennemi est invisible».
Beaucoup craignent que le point de départ du trafic ne soit venu d’un «minot» du voisinage. Selon une source policière, la plupart venaient visiblement d’Air Bel, un quartier proche où des travaux perturberaient le trafic habituel.
Toute cette mobilisation a payé: la police multiplie les patrouilles et interpelle quatre personnes. Le bailleur social, Erilia, annonce huit agents de sécurité 7j/7, 24h/24 pour une durée indéterminée.
Courage salué
«Ce qui est intéressant ici, c’est que des habitants décident de ne pas se laisser faire», veut croire la préfète de police des Bouches-du-Rhône, Frédérique Camilleri, interrogée par l’AFP.
Patrick Amico, adjoint au logement au maire de gauche de Marseille, a salué sur Twitter le courage des habitants, tout en estimant que ce n’est pas à eux de «faire régner la sécurité publique».
Moins de points de deal
Le président français Emmanuel Macron avait présenté en septembre 2021 le plan d’urgence «Marseille en grand», destiné à aider la deuxième ville de France, où le taux de pauvreté dépasse 50% dans certains quartiers, à rattraper son retard sur tous les plans, des écoles aux transports en passant par la culture.
Marseille compte aujourd’hui 127 points de deal, contre 156 il y a deux ans, un chiffre en baisse mais difficile à mesurer concrètement tant ce trafic est mouvant, dans une ville où une trentaine de jeunes sont morts en 2022 dans des conflits sur fond de stupéfiants.
«Si tout le monde faisait comme nous, ça irait mieux»
Aux Campanules, après dix jours d’agitation, les vigiles sont donc déployés. Les policiers eux patrouillent encore. Quant aux habitants, ils entendent rester mobilisés, comme en témoigne la Une du journal local La Provence, «Touche pas à ma cité», placardée sur l’entrée du bâtiment.
Bienvenida souffle aux vigiles qu’il serait de bon ton de faire des rondes. Et une dame d’un autre bloc vient proposer son aide: «Si tout le monde faisait comme nous, ça irait mieux.»
Bilan «plutôt encourageant»
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