Balkans«Ils attisent la panique et ça me fait peur»
Ce dimanche, les Serbes de Bosnie fêtent leur entité au moment où les visées sécessionnistes de leurs dirigeants font craindre un retour aux années noires du conflit intercommunautaire.
L’entité serbe de Bosnie célèbre dimanche ses 30 ans en grande pompe. Mais comme d’autres Serbes du pays divisé des Balkans, Mira Vuletic n’a pas l’âme festive, au moment où les visées sécessionnistes de leurs dirigeants font craindre un retour aux années noires du conflit intercommunautaire. «Ils attisent la panique et ça me fait peur», déclare cette retraitée de 70 ans, rare personne à accepter de donner son nom à Sarajevo-Est, quartiers de la capitale bosnienne situés en Republika Sprska (RS). Elle en veut aux élites de l’ensemble des communautés du pays fracturé selon des lignes ethniques. «Ils font ça pour cacher leurs magouilles et leurs vols» dans une Bosnie minée par une corruption endémique, dit-elle.
«Menace existentielle»
Ces derniers mois, les tensions ont augmenté avec la multiplication des menaces sécessionnistes du leader politique de la RS, Milorad Dodik, qui lui ont valu mercredi de nouvelles sanctions américaines. Selon Christian Schmidt, le Haut représentant international en Bosnie, celle-ci est exposée à sa «plus grande menace existentielle» depuis l’accord de Dayton qui a institué en 1995 une paix fragile dans le pays exsangue après la plus meurtrière des guerres de l’ex-Yougoslavie.
Pendant que Mira Vuletic déambule amère dans la rue, des employés municipaux accrochent les drapeaux de la RS qui va honorer sa «fête nationale» à Banja Luka, le chef-lieu de l’entité. Cet événement, considéré comme une provocation par les Bosniaques musulmans, célèbre la proclamation le 9 janvier 1992 d’une «République des Serbes de Bosnie» par l’élite politique serbe hostile à l’indépendance de la Bosnie.
Celle-ci était alors encore membre de la Fédération yougoslave, voulue par les Bosniaques et les Croates. Trois mois plus tard éclatait le conflit qui allait faire quelque 100’000 morts. Pour le 30e anniversaire de cette fête qualifiée par la justice de discriminatoire envers les Bosniaques et les Croates, les autorités de la RS ont annoncé trois jours de célébrations, avec un défilé de leurs forces policières.
«De plus en plus loin»
Dayton a consacré la partition du pays entre la RS et une entité croato-musulmane reliées par de faibles institutions centrales renforcées au fil du temps sous la pression occidentale. Mais Milorad Dodik exige aujourd’hui de reprendre certaines compétences cédées au pouvoir central. Le Parlement de la RS a donné en décembre au gouvernement de l’entité six mois pour organiser légalement son départ de trois institutions centrales cruciales, l’armée, la justice et le fisc. Ce faisant, il est accusé par les Bosniaques, sa propre opposition et l’Occident de menacer la paix.
«Il ne faut jamais exclure la possibilité de conflit en Bosnie», prévient Srecko Latal, rédacteur en chef du réseau régional de journalisme d’investigation (BIRN). «Dodik va de plus en plus loin dans une histoire qui peut se terminer par une tentative de sécession qui ne pourrait pas passer sans de nouveaux conflits.»
Si l’Union européenne s’est montrée discrète sur la crise, Washington a infligé de nouvelles sanctions financières à Milorad Dodik en l’accusant de menacer «la stabilité de la Bosnie-Herzégovine et de toute la région». «Je n’ai pas de biens aux Etats-Unis. C’est de la pure farce de m’interdire de gérer des avoirs que je ne possède pas», ricane l’intéressé. Accusé aussi de corruption, cet ancien favori des Occidentaux devenu pro-russe a dénoncé «les mensonges monstrueux» de Washington, taxé de vouloir «créer un Etat pour les musulmans».
«Vivre comme des animaux»
À Sarajevo-Est, un trentenaire au chômage raconte à l’AFP que son père, combattant vétéran de la RS, en est réduit à grappiller des journées de travail dans le BTP. «Mon père a combattu pour la Republika Srpska et a même été décoré pour avoir contribué à sa création. Il survit en travaillant durement sur des chantiers», peste cet homme qui préfère l’anonymat «de peur ne pas retrouver du travail».
La crise politique vient s’ajouter aux difficultés quotidiennes d’une population qui subit toutes communautés confondues la pauvreté, les bas salaires, la corruption et les dysfonctionnements liés au millefeuille administratif découlant des accords de Dayton. «J’ai touché aujourd’hui ma pension mensuelle qui me permettra de vivre à peine dix jours», témoigne Mira Vuletic. «Nous continuons de vivre comme des animaux».
Cela fait des années que les Bosniens fuient en masse cette absence d’avenir. D’après l’ONG locale Union pour un retour durable, près de 500’000 Bosniens ont quitté en neuf ans un pays qui recensait 3,5 millions d’habitants en 2013. Le trentenaire au chômage va peut-être leur emboîter le pas. «Si je vois qu’un nouveau conflit est inévitable, je vais tout de suite fuir avec ma femme».