Avions de combatAchat du F-35 américain: les dés ont-ils été pipés?
Alors que l’initiative contre le jet américain sera déposée la semaine prochaine à Berne, le conseiller national Pierre-Alain Fridez sort un livre qui dénonce le processus opaque de son choix.
- par
- Eric Felley
Après la votation de septembre 2020, où l’achat des avions de combat a passé de justesse devant le peuple, le Conseil fédéral avait le choix entre quatre jets: l’Eurofighter d’Airbus, le F/A-18 Super Hornet de Boeing, le Rafale de Dassault et le F-35 de Lockheed Martin. Après une phase d’évaluation menée par Armasuisse et le Département de la défense de la population et des sports (DDPS), sur proposition de sa cheffe Viola Amherd, le Gouvernement a porté son choix sur ce dernier le 1er juillet 2021.
Meilleur en presque tout
Dans cette évaluation, le jet américain aurait surclassé nettement ses trois concurrents. Il avait obtenu un total de 336 points, le score le plus élevé en termes «d’utilité globale», laissant le deuxième à 95 points derrière. Il était aussi le meilleur pour son efficacité, son exploitation et sa maintenance. Enfin, et surtout, il avait obtenu «de loin le meilleur résultat en termes de coûts». Il serait près de 2 milliards de francs meilleur marché que ses concurrents. Seul défaut de ce dossier: les propositions d’affaires compensatoires étaient insuffisantes.
Cette décision d’achat a poussé le Groupe pour une Suisse sans armée et la gauche de lancer et soutenir l’initiative Stop F-35. Jeudi, les initiants ont annoncé qu’ils avaient les 100 000 signatures requises et qu’ils déposeraient mardi prochain leur texte à la Chancellerie fédérale. Il reste à savoir dans quel laps de temps cette initiative pourra passer devant le peuple. Le Conseil fédéral, avec le soutien d’une majorité du Parlement, a déjà pris l’option de signer le contrat d’acquisition avec Lockheed Martin avant mars 2023.
Un «scandale d’État»
À Berne, la volonté de la droite est clairement de passer commande sans attendre un vote populaire. Ce serait une façon cavalière de procéder et un élément de plus pour l’enquête menée par le conseiller national Pierre-Alain Fridez (PS/JU). Après avoir publié il y a deux ans «Sécurité et défense de la Suisse», il sort ce vendredi un deuxième opus consacré spécifiquement au choix de l’avion américain avec un titre évocateur: «Le choix du F-35. Erreur grossière ou scandale d’État?»
Le Jurassien a déjà sa petite idée sur la réponse à cette question. Interviewé jeudi par «Le Temps», il explique que «Confronté à des informations inquiétantes, j’ai cherché à comprendre le pourquoi et le comment de ce choix. Et je suis tombé sur ce que je qualifie de «scandale d’État» dans le livre. Des informations que je ne pouvais garder pour moi».
Une «main invisible» est passée par là
Il constate qu’une sorte de «main invisible» semble être passée par là: «Selon le choix des critères d’évaluation que personne ne connaît, dit-il, cela était très aisé. Car la méthode AHP choisie pour l’évaluation privilégie par une notation subjective les caractéristiques particulières d’un concurrent par rapport aux autres.» Ainsi, il veut faire la démonstration que le F-35 a été choisi en amont de l’évaluation: «Même si tous les avions étaient performants dans l’essentiel des tâches demandées, choisir adroitement un certain nombre de critères où un avion précis «offre un petit plus», permet un résultat sans discussion possible à l’arrivée».
Quant à l’argument de l’avion le meilleur marché, il évoque un avantage accordé qu’à ce seul concurrent: les pilotes voleront 20% d’heures en moins. Quant au rôle de Viola Amherd dans cette histoire, il pense «qu’elle a surtout fait confiance, sans trop se poser de questions. Et elle a dû être impressionnée par les résultats clairs fournis par Armasuisse et le DDPS». Cependant, elle devra répondre des incohérences ou des faiblesses du dossier qui commencent à s’accumuler.
Le F-35 sous enquête aux États-Unis
Les questions politiques que soulève Pierre-Alain Fridez interviennent au moment où le F-35 fait l’objet de nouvelles critiques, au point que le Congrès américain a ouvert une enquête en juin dernier sur la fiabilité de l’avion, où de multiples défauts ont été constatés. Un rapport final devra analyser «les capacités opérationnelles du F-35 une fois déployé, relever si les avions ont encore rencontré des problèmes de fonctionnement, et déterminer si les pièces détachées fournies à l’US Air Force permettent d’assurer pleinement la maintenance des appareils». Ce rapport est attendu pour le 1er mars 2023. C’est-à-dire un mois avant la décision du Conseil fédéral de signer le contrat.