Procureur général élu à huis clos: «Les députés ont spolié les Valaisans de leur droit»

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Procureur général élu à huis clos«Les députés ont spolié les Valaisans de leur droit»

Les recommandations émises ce jeudi par le préposé à la transparence, Sébastien Fanti, sont accablantes à l’endroit du Grand Conseil et de l’État du Valais.

Evelyne Emeri
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Evelyne Emeri
Le 5 mai 2021, le procureur général du canton du Valais, Nicolas Dubuis, 54 ans, candidat à sa propre succession, est réélu à huis clos. Le début d’une affaire d’État.

Le 5 mai 2021, le procureur général du canton du Valais, Nicolas Dubuis, 54 ans, candidat à sa propre succession, est réélu à huis clos. Le début d’une affaire d’État.

lematin.ch/Isabelle Favre

Quinze pages pour expliquer combien les députés valaisans ont fauté le 5 mai 2021 lors de l’élection des autorités judiciaires en votant un huis clos historique, susceptible d’invalider la reconduction du procureur général Nicolas Dubuis dans son fauteuil au Parquet. Le préposé à la protection des données et à la transparence du canton du Valais, Me Sébastien Fanti, a envoyé ce jeudi 29 décembre – deux jours avant la fin de son mandat – un véritable missile. Il a transmis ce matin par courriel anticipé sa recommandation aux représentants légaux du Grand Conseil. Soit à sa présidente Géraldine Arlettaz-Monnet ainsi qu’au chef du Service parlementaire Nicolas Sierro.

Il avait raté le TC

Le 5 mai 2021, l’élection s’annonçait déjà bouillonnante pour le procureur général, candidat à sa propre succession, mais également à un poste de juge cantonal. Le feu couvait, lui-même ayant annoncé publiquement qu’il ne briguerait pas les deux mandats simultanément, avant de se raviser. Au moment du vote, Nicolas Dubuis avait du reste commencé par rater la marche du Tribunal cantonal (TC) et n’avait pas été retenu par le Grand Conseil. Lui restait dès lors à espérer conserver la direction du Ministère public (MP) alors qu’on lui reprochait les lenteurs du MP, son manque de leadership et son absence de communication. Voici pour la mise en bouche de ce qui allait devenir une véritable affaire d’État.

Journalistes expulsés

Bousculé de surcroît par le cumul d’affaires dérangeantes (ndlr. arme factice dans son bureau, allégations de discrimination et de sexisme envers des procureures, affaire du petit Luca irrésolue, instruction de l’encaveur Giroud), Nicolas Dubuis avançait fragilisé. Et c’est ainsi que le secret des débats a été, contre toute attente, admis par les parlementaires valaisans dont certains ont dit avoir subi des pressions de l’entourage du magistrat. Le Règlement du Grand Conseil (RGC) est pourtant sans équivoque. Le point 1 de l’art. 76 du RGC en particulier: «Le huis clos peut être demandé par le bureau, par le Conseil d’État ou par dix députés lorsque la protection d’intérêts importants de l’État ou des motifs inhérents à la protection de la personnalité le justifient».

Enregistrement requis

Le public, mais également les journalistes avaient été priés de quitter la salle afin que tout se déroule dans la plus parfaite opacité. Une première. Y compris les caméras de Canal9 qui diffusent les débats. Des sources concordantes attestent de l’existence d’un enregistrement que Me Sébastien Fanti requiert «immédiatement» dans ses recommandations tant le document qui relate la session de mai 2021 «n’offre aucune chronologie précise du déroulement des événements, ce qui est tout de même surprenant, à l’aune de la gravité de l’instant, qui ne pouvait échapper à quiconque, et surtout pas aux membres du Service parlementaire qui doivent assurer le respect des règles fondamentales et orienter avec adéquation et exactitude les députés, dont la plupart n’ont aucune formation juridique».

«Le canton responsable»

Pour le préposé à la transparence, cette façon d’agir et de prononcer le huis clos est gravissime et il ne s’en cache pas tout au long de son mémoire. «Il a été constaté que la décision de huis clos a porté atteinte aux droits des citoyen(ne)s du Canton du Valais, aux droits des journalistes, au droit à l’information, ainsi qu’aux droits de la personnalité du procureur général qui doit subir une perte de crédibilité notable et durable dans son activité quotidienne. Elle engage clairement la responsabilité du Canton du Valais», précise l’homme de loi.

«De la censure»

«Sept recommandations ont été émises pour qu’une telle situation, unique dans l’histoire de notre Canton et unique en Suisse dans un contexte similaire, ne se reproduise jamais, poursuit Me Fanti, Nous sommes en présence d’un dangereux précédent en termes de violations des normes démocratiques fondamentales. En clair, les députés, par leur vote, ont spolié les Valaisannes et les Valaisans de leur droit d’assister au processus de nomination de la personne qui conduit la politique pénale et criminelle les concernant. Une telle décision, qui s’apparente à de la censure, ne doit jamais se reproduire, dans un contexte de faits similaires.»

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