Espagne«Échanger des voix contre l’impunité, c’est de la corruption»
L’opposition et la magistrature espagnoles haussent le ton, ulcérées par le projet d’amnistie des indépendantistes catalans que négocie le Premier ministre Pedro Sánchez pour rester au pouvoir.
«Corruption», «abolition de l’État de droit»: l’opposition de droite et une partie de la magistrature durcissent le ton en Espagne contre l’amnistie des indépendantistes catalans que négocie le Premier ministre sortant Pedro Sánchez. Arrivé deuxième des élections législatives du 23 juillet, le chef du gouvernement a jusqu’au 27 novembre pour obtenir la confiance du Parlement et se maintenir au pouvoir, faute de quoi un nouveau scrutin devra être convoqué.
Afin d’obtenir le soutien indispensable des partis indépendantistes catalans, le socialiste a accepté leur exigence d’une amnistie des séparatistes poursuivis par la justice espagnole, notamment pour leur implication dans la tentative avortée de sécession de la Catalogne en 2017. Il ne lui manque plus que le feu vert d’Ensemble pour la Catalogne, le parti de Carles Puigdemont, leader des événements de 2017.
Menace de recours
Très controversé, ce projet d’amnistie, qui devra être voté par le Parlement, suscite depuis des semaines une levée de boucliers de l’opposition de droite qui a encore durci le ton ces derniers jours et a promis de multiplier les recours contre son application. Elle reproche à Pedro Sánchez, qui était lui-même opposé par le passé à une telle idée, d’être prêt à tout dans le seul but de se maintenir au pouvoir.
«Échanger des voix contre l’impunité, c’est de la corruption», a lancé samedi, lors d’une réunion de son parti au Pays basque (nord), le chef du Parti Populaire (PP, droite), Alberto Núñez Feijóo, arrivé en tête des législatives mais qui a échoué fin septembre à être investi Premier ministre, faute de soutiens suffisants.
«Nous allons défendre l’Espagne (…) ils nous auront en face», a-t-il encore dit dimanche à Valence (est), devant des militants criant «Pedro Sánchez en prison», lors d’une manifestation du PP contre l’amnistie. Une nouvelle manifestation à laquelle assisteront les dirigeants de la droite et de l’extrême droite est prévue le samedi 18 novembre à Madrid.
Une «abolition de l’État de droit», selon les magistrats
Une partie de la magistrature a également critiqué cette amnistie dans des termes particulièrement durs. L’Association professionnelle de la magistrature (APM), organisation conservatrice majoritaire chez les juges, a jugé jeudi dernier dans un communiqué que cette mesure constituait «le début de la fin de notre démocratie» et faisait «exploser l’État de droit».
Les membres conservateurs du Conseil général du pouvoir judiciaire ont par ailleurs obtenu la convocation lundi en fin de journée d’une réunion extraordinaire de cet organe clé chargé de nommer les juges, au sujet de l’amnistie. Ces membres jugent dans un texte que l’amnistie des indépendantistes représente «une dégradation voire une abolition de l’État de droit».
Condamnés à la prison pour tentative de sécession
À la suite de la tentative de sécession de 2017, des centaines de personnes ont été poursuivies en Catalogne par la justice espagnole. Les principaux dirigeants du mouvement ont alors fui à l’étranger, comme Carles Puigdemont, ou ont été incarcérés puis condamnés en 2019 à des peines allant jusqu’à 13 ans de prison. Cette condamnation avait entraîné une explosion de violence dans les rues de Barcelone.
Porté au pouvoir moins d’un an après la tentative de sécession, notamment grâce aux voix des indépendantistes, Pedro Sánchez a fait depuis 2018 de l’apaisement en Catalogne l’une de ses priorités. Il a notamment gracié en 2021 les neuf indépendantistes condamnés à la prison.