GUerre en UkraineBannir les touristes russes? Les Européens en mal d’unité
Interdire l’Europe aux touristes russes ou en limiter drastiquement l’accès pour les punir de la guerre en Ukraine: le débat agite la rentrée de l’UE, divisée sur cette sanction réclamée par Kiev.
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a appelé les Occidentaux à fermer leurs frontières aux Russes qui doivent «vivre dans leur propre monde jusqu’à ce qu’ils changent de philosophie». «Les Russes soutiennent massivement la guerre, applaudissent les frappes de missiles sur les villes ukrainiennes et les meurtres d’Ukrainiens. Laissons donc les touristes russes profiter de la Russie», a renchéri son chef de la diplomatie, Dmytro Kouleba.
Le sujet sera au menu des discussions de la réunion des ministres européens des Affaires étrangères qui s’ouvre mardi à Prague, les pays les plus offensifs (Pays baltes, Pologne et Finlande) souhaitant une position commune des Vingt-Sept sur cette mesure, qui serait inédite dans l’histoire de l’UE.
La Finlande réduit ses visas
Frontalière de la Russie, la Finlande, qui traite quelque 1000 demandes de visas par jour, a décidé de réduire à 10% de ce volume le nombre de visas délivrés aux touristes russes, dès le 1er septembre. Depuis la fermeture de l’espace aérien européen en réaction à la guerre, les Russes sont de plus en plus nombreux à se rendre dans ce pays frontalier pour transiter vers d’autres Etats européens munis de visas Schengen de court séjour (90 jours par période de 180 jours).
Pour la Première ministre finlandaise, Sanna Marin, «il n’est pas juste que les citoyens russes puissent entrer en Europe, dans l’espace Schengen, faire du tourisme (...) pendant que la Russie tue des gens en Ukraine».
Visas Schengen en question
Les 26 pays de l’espace Schengen (22 Etats de l’UE, plus Norvège, Islande, Suisse et Liechtenstein) ont reçu en 2021 trois millions de demandes de visas de court séjour toutes catégories confondues (tourisme, études, voyages d’affaires...), les Russes étant les plus nombreux (536’000).
L’Estonie déplore ne pas pouvoir interdire l’entrée à son territoire «aux personnes munies d’un visa d’un autre pays de l’espace Schengen», estimant que «visiter l’Europe est un privilège, pas un droit humain». «Il ne peut être question de tourisme comme à l’ordinaire pour les citoyens russes», a appuyé le ministre des Affaires étrangères tchèque Jan Lipavsky, dont le pays occupe la présidence tournante de l’UE.
A l’instar de Prague, les Pays baltes et la Pologne ont durci après le début de l’offensive leur régime de visas pour les Russes à des degrés divers (arrêt total ou pour les seuls touristes), avec des exceptions (études, raisons familiales, humanitaires, médias d’opposition...).
En l’absence d’unanimité entre les Vingt-Sept, requise pour des sanctions, la Lituanie a évoqué «une solution régionale» qui associerait Baltes, Pologne et Finlande.
Epargner le peuple russe
Pour le chancelier allemand, Olaf Scholz, une limitation des visas touristiques pénaliserait «tous les gens qui fuient la Russie parce qu’ils sont en désaccord avec le régime russe». Le chef de la diplomatie de l’UE, Josep Borrell, a lui estimé qu’«interdire à tous les Russes d'entrer en Europe n'est pas une bonne idée».
Quant à la Commission européenne, elle insiste sur la nécessité de protéger pour des raisons humanitaires les dissidents, les journalistes et les familles, rappelant que les demandes doivent être examinées au cas par cas.
Contre-productif?
«Moins de 30% des Russes détiennent un passeport et leurs premières destinations de voyage sont la Turquie, l’Egypte et les Emirats arabes unis», rappelle pour sa part l’experte de l’ECFR (Conseil européen pour les relations internationales), Marie Dumoulin, pointant «une dangereuse erreur d’analyse».
Selon elle, «une interdiction aura exactement l’effet inverse de celui recherché: en stigmatisant l’ensemble des Russes, on alimente la propagande du Kremlin qui depuis des années, et en particulier depuis l’offensive en Ukraine, dénonce la russophobie supposée des Occidentaux». «L’UE doit conserver des relais avec la société civile et ne pas l’isoler dans un bocal entièrement contrôlé par le régime», ajoute-t-elle.