Procès de l’attentat de Nice«Moi, je voulais juste des bonbons»
Le 14 juillet 2016, elle avait 4 ans. Dans une lettre lue par son avocate ce mardi devant la Cour, une enfant témoigne de l’horreur de l’attaque au camion-bélier sur la promenade des Anglais.
L’une avait 4 ans et l’autre 16 au moment de l’attaque au camion-bélier sur la promenade des Anglais, le 14 juillet 2016. Toutes deux ont survécu mais leur témoignage, mardi au procès de l’attentat de Nice, ont révélé des blessures invisibles.
«Moi, je voulais juste des bonbons. Et je ne savais pas ce qui allait se passer. Et à mon petit âge de quatre ans (ndlr: à l’époque des faits), c’est difficile de comprendre ça», a raconté avec ses mots d’enfants la jeune K. par la voix de son avocate, Sylvie Topaloff. K. aurait dû témoigner par visioconférence depuis Nice, mais le président de la Cour d’assises spéciale de Paris, Laurent Raviot, y a mis son veto en raison de son jeune âge.
La mère de la fillette, Hager Ben Aouissi, 38 ans, avait raconté vendredi à la Cour comment elle n’avait pas hésité à se jeter entre les roues du camion de 19 tonnes conduit par Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, en plaquant sa fille au sol, pour lui sauver la vie.
Un état régressif
Dans sa lettre, la petite fille explique: «J’ai compris quand on s’est relevé avec maman et que j’ai vu le camion continuer.» «Au début c’était une très bonne soirée et ensuite elle s’est transformée en moche», résume la fillette qui, depuis l’attentat, est suivie au Centre d’évaluation pédiatrique du psychotraumatisme de l’hôpital Lenval de Nice et souffre de sérieux troubles de stress post-traumatique.
Lors de son audition vendredi, sa mère avait raconté comment sa fille avait «complètement régressé» depuis l’attentat. «Elle n’a pas arrêté de dire qu’elle voulait retourner dans mon ventre. Elle a repris la tétine, le biberon», avait détaillé Hager Ben Aouissi. La petite fille est toujours la proie de réminiscences qui provoquent chez elle de violentes crises d’angoisse. Comme beaucoup d’adultes survivants, elle souffre d’un sévère complexe de culpabilité.
Des corps et du sang partout
Kimberley, elle, avait 16 ans au moment de l’attaque. Sa souffrance à la barre est pénible à supporter. «Rien ne vous oblige à témoigner», lui dit d’une voix douce le président. Courageuse, elle continue. Le soir du 14 juillet, était sa «première sortie de nuit autorisée». Une joie immense avant de voir «des corps voltiger en l’air».
«Vous savez la phrase qu’on dit? «J’ai vu ma vie défiler devant mes yeux.» Et bien je me suis vue bébé, enfant et ado. Je regardais droit dans les yeux ce terroriste en espérant qu’il me voie pleurer et qu’il ait un tilt comme quoi il faut s’arrêter mais non, rien…», se souvient-elle.
La jeune femme est sauve mais les blessures invisibles ne font que commencer. Elle n’est plus capable de rien. À la maison, «c’est ma maman qui me lavait, me brossait les dents, me faisait manger comme si j’étais un bébé». Chaque nuit, ce sont des cauchemars et des hallucinations. «Je voyais des corps partout dans la maison, du sang sur moi, du sang partout», dit-elle, la voix brisée.
Plus que la peau sur les os
«J’ai commencé les mutilations en cachette car je n’avais aucune raison de continuer à vivre (…) Plus les jours passaient, plus je ressentais ce besoin de mourir.» Sa vie se passe désormais à l’hôpital. Elle n’a plus que la peau sur les os. «J’ai commencé à m’en vouloir et à en vouloir à mes parents. Pourquoi je suis née? Pourquoi je ne suis pas morte à la place de tout le monde?» poursuit-elle. Sur le banc des parties civiles, son père s’effondre.
«Est-ce que je suis heureuse aujourd’hui?» s’interroge Kimberley. «Non. Rien n’a changé, je pleure toujours autant, mes idées noires sont constamment présentes, même à l’heure où je vous parle (…) Maintenant je souris je montre que je vais bien même si ce n’est pas le cas.» Cauchemars et hallucinations persistent y compris «en pleine rue». «Je souhaite mourir à chaque anniversaire pour que ma douleur enfin s’arrête».
L’attentat de Nice a tué 86 personnes, dont quinze mineurs. Des centaines d’autres ont subi un choc traumatique plus ou moins important. Plus de 150 enfants en souffrance sont toujours suivis à l’hôpital Lenval.